Pour son rôle dans “Laura”, à (re)voir ce soir sur Arte, Gene Tierney a été propulsée au rang de star. C’est l’une des quatre raisons qui ont fait de ce chef-d’œuvre d’Otto Preminger un classique du film noir. Décryptage.
Gene Tierney dans « Laura », d’Otto Preminger (1944). 20th Century Fox
Publié le 25 février 2024 à 19h00
Classique du film noir de l’âge d’or de Hollywood, réalisé en 1944, Laura est à la fois l’un des plus populaires et l’un des plus complexes, par sa construction en flash-back et son mélange des genres, entre thriller et dissection des âmes. Il est aussi celui qui lança la carrière d’Otto Preminger et fit de Gene Tierney un fantasme de cinéphiles. Décryptage de ce chef-d’œuvre à (re)découvrir, en quatre points.
L’obstination d’un cinéaste
Réfugié juif viennois, Otto Preminger signe en 1936 son premier film pour la 20th Century Fox. En refusant ensuite de réaliser un long-métrage tiré d’un récit de Robert Stevenson, le cinéaste se brouille avec le puissant directeur de production Darryl F. Zanuck. Preminger doit attendre le départ à la guerre de ce dernier pour réintégrer le studio. Ayant dévoré le roman de Vera Caspary, Laura, il s’offre de le mettre en scène mais Zanuck, revenu entre-temps à Hollywood, veut le cantonner au rôle de producteur et engage Rouben Mamoulian comme réalisateur. Pourtant le boss de la Fox ne peut que se ranger à l’avis de Preminger, qui conteste les choix sans reliefs de l’auteur de La Reine Christine. À contrecœur, Zanuck consent à laisser Preminger produire et réaliser Laura. « Otto, dira Gene Tierney dans ses mémoires, était le seul à avoir une foi absolue dans ce projet. » Le cinéaste sera d’une exigence totale envers son équipe, retournant toutes les scènes filmées par Mamoulian.
Découvrir la note et la critique
L’éclat d’une actrice
« Laura possédait la magie, écrira Gene Tierney. Mais je pense que les gens se souviennent moins de moi pour ma performance d’actrice que comme de la jeune fille au portrait. » Il est vrai que c’est un tableau la représentant qui nous invite à rêver l’interprète de Laura, avant que Gene Tierney n’apparaisse pour de bon dans le film. Lequel offre à la comédienne de 23 ans, qui vient de se distinguer dans Le ciel peut attendre, de Lubitsch, un rôle transcendant son apparente normalité. Positive, active, Laura n’est fatale qu’au regard des pulsions destructrices des hommes qui la convoitent. Elle n’est pas une mante religieuse, contrairement à d’autres héroïnes de films noirs. La nature de son personnage, sa beauté de brune aux yeux clairs et aux pommettes saillantes, magnifiée par le chef opérateur Joseph LaShelle, vont valoir à Gene Tierney des millions d’adorateurs. Et la naissance d’un culte.
Dana Andrews dans la rôle du détective chargé d’élucider le mystère qui entoure la mort de Laura dont il fini par s’éprendre. 20th Century Fox
L’envoûtement d’un thème musical
Alfred Newman et Bernard Herrmann ayant refusé de signer la musique de Laura, c’est le moins renommé David Raksin qui s’y colle. Alors que Preminger envisage de choisir pour thème une chanson et pense acheter les droits de Sophisticated Lady, d’Ellington, Raksin pense que l’utilisation d’un titre célèbre pourrait détourner le public de l’intrigue. Preminger lui laisse alors le week-end pour composer une mélodie qui lui plaise. Mais le samedi matin, Raksin reçoit une lettre de sa femme, qui le quitte. Dévasté, Raksin ne trouve pas l’inspiration. Jusqu’au dimanche soir où, machinalement, il pose le mot de son épouse sur son piano et trouve le thème nostalgique et lancinant de ce qu’il appellera « un amour sans retour ». Lors de la sortie en salles de Laura, la Fox est submergée de courriers de spectateurs se plaignant de ne pas trouver la musique du film chez leur disquaire. En urgence, le studio demande à Johnny Mercer d’écrire des paroles sur le thème de Raksin. La chanson, no 1 au hit-parade, va se vendre à des millions d’exemplaires et connaître des dizaines de reprises.
Une scène culte
Comme le souligne Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire du cinéma (1), « Laura est à la fois une énigme policière extrêmement originale (où la victime ressuscite au milieu du récit pour devenir l’un des principaux suspects) et un drame psychologique, au ton désabusé et pessimiste. » Ce moment où, à la 44e minute du film, la véritable Laura réapparaît devant le policier joué par Dana Andrews, qui s’est assoupi chez elle, est une scène magique permettant au fantasme de faire irruption dans l’univers tranchant du thriller. Si le tableau la représentant était jusque-là au premier plan, Gene Tierney, bien vivante, se substitue à lui. La femme-objet va devoir reprendre le contrôle de sa vie.
À la 44e minute, se déroule la scène culte du film avec Gene Tierney et Dana Andrews. 20th Century Fox
Laura, lundi 26 février à 20.55 sur Arte.
Read AgainPour son rôle dans “Laura”, à (re)voir ce soir sur Arte, Gene Tierney a été propulsée au rang de star. C’est l’une des quatre raisons qui ont fait de ce chef-d’œuvre d’Otto Preminger un classique du film noir. Décryptage.
Gene Tierney dans « Laura », d’Otto Preminger (1944). 20th Century Fox
Publié le 25 février 2024 à 19h00
Classique du film noir de l’âge d’or de Hollywood, réalisé en 1944, Laura est à la fois l’un des plus populaires et l’un des plus complexes, par sa construction en flash-back et son mélange des genres, entre thriller et dissection des âmes. Il est aussi celui qui lança la carrière d’Otto Preminger et fit de Gene Tierney un fantasme de cinéphiles. Décryptage de ce chef-d’œuvre à (re)découvrir, en quatre points.
L’obstination d’un cinéaste
Réfugié juif viennois, Otto Preminger signe en 1936 son premier film pour la 20th Century Fox. En refusant ensuite de réaliser un long-métrage tiré d’un récit de Robert Stevenson, le cinéaste se brouille avec le puissant directeur de production Darryl F. Zanuck. Preminger doit attendre le départ à la guerre de ce dernier pour réintégrer le studio. Ayant dévoré le roman de Vera Caspary, Laura, il s’offre de le mettre en scène mais Zanuck, revenu entre-temps à Hollywood, veut le cantonner au rôle de producteur et engage Rouben Mamoulian comme réalisateur. Pourtant le boss de la Fox ne peut que se ranger à l’avis de Preminger, qui conteste les choix sans reliefs de l’auteur de La Reine Christine. À contrecœur, Zanuck consent à laisser Preminger produire et réaliser Laura. « Otto, dira Gene Tierney dans ses mémoires, était le seul à avoir une foi absolue dans ce projet. » Le cinéaste sera d’une exigence totale envers son équipe, retournant toutes les scènes filmées par Mamoulian.
Découvrir la note et la critique
L’éclat d’une actrice
« Laura possédait la magie, écrira Gene Tierney. Mais je pense que les gens se souviennent moins de moi pour ma performance d’actrice que comme de la jeune fille au portrait. » Il est vrai que c’est un tableau la représentant qui nous invite à rêver l’interprète de Laura, avant que Gene Tierney n’apparaisse pour de bon dans le film. Lequel offre à la comédienne de 23 ans, qui vient de se distinguer dans Le ciel peut attendre, de Lubitsch, un rôle transcendant son apparente normalité. Positive, active, Laura n’est fatale qu’au regard des pulsions destructrices des hommes qui la convoitent. Elle n’est pas une mante religieuse, contrairement à d’autres héroïnes de films noirs. La nature de son personnage, sa beauté de brune aux yeux clairs et aux pommettes saillantes, magnifiée par le chef opérateur Joseph LaShelle, vont valoir à Gene Tierney des millions d’adorateurs. Et la naissance d’un culte.
Dana Andrews dans la rôle du détective chargé d’élucider le mystère qui entoure la mort de Laura dont il fini par s’éprendre. 20th Century Fox
L’envoûtement d’un thème musical
Alfred Newman et Bernard Herrmann ayant refusé de signer la musique de Laura, c’est le moins renommé David Raksin qui s’y colle. Alors que Preminger envisage de choisir pour thème une chanson et pense acheter les droits de Sophisticated Lady, d’Ellington, Raksin pense que l’utilisation d’un titre célèbre pourrait détourner le public de l’intrigue. Preminger lui laisse alors le week-end pour composer une mélodie qui lui plaise. Mais le samedi matin, Raksin reçoit une lettre de sa femme, qui le quitte. Dévasté, Raksin ne trouve pas l’inspiration. Jusqu’au dimanche soir où, machinalement, il pose le mot de son épouse sur son piano et trouve le thème nostalgique et lancinant de ce qu’il appellera « un amour sans retour ». Lors de la sortie en salles de Laura, la Fox est submergée de courriers de spectateurs se plaignant de ne pas trouver la musique du film chez leur disquaire. En urgence, le studio demande à Johnny Mercer d’écrire des paroles sur le thème de Raksin. La chanson, no 1 au hit-parade, va se vendre à des millions d’exemplaires et connaître des dizaines de reprises.
Une scène culte
Comme le souligne Jacques Lourcelles dans son Dictionnaire du cinéma (1), « Laura est à la fois une énigme policière extrêmement originale (où la victime ressuscite au milieu du récit pour devenir l’un des principaux suspects) et un drame psychologique, au ton désabusé et pessimiste. » Ce moment où, à la 44e minute du film, la véritable Laura réapparaît devant le policier joué par Dana Andrews, qui s’est assoupi chez elle, est une scène magique permettant au fantasme de faire irruption dans l’univers tranchant du thriller. Si le tableau la représentant était jusque-là au premier plan, Gene Tierney, bien vivante, se substitue à lui. La femme-objet va devoir reprendre le contrôle de sa vie.
À la 44e minute, se déroule la scène culte du film avec Gene Tierney et Dana Andrews. 20th Century Fox
Laura, lundi 26 février à 20.55 sur Arte.
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