Benny Safdie (à gauche) et Joshua Safdi (à droite).
Yann Rabanier pour Télérama
Robert Pattinson voulait à tout prix tourner sous leur direction. Les frères Josh et Benny Safdie ont écrit pour la star de “Twilight” un polar naturaliste très réussi, “Good Time”, filmé dans les rues de New York. Rencontre avec les réalisateurs.
Représentants d'un cinéma new-yorkais fauché, indépendant et relativement confidentiel, peuplé de marginaux (vagabonds, toxicos, voleurs à la petite semaine), les frères Josh(ua) et Ben(ny) Safdie se sont, pour la première fois, confrontés au star-system. Après avoir vu et adoré Mad Love in New York (2014), leur précédent film, Robert Pattinson, le vampire scintillant de la franchise Twilight, alors en plein virage auteuriste, leur déclare sa flamme.
Les frères Safdie y voient la possibilité de tourner un film de genre, sans renier leurs origines naturalistes : la cavale de deux frères, habitants du Queens et braqueurs occasionnels, dont l'un est interprété par Pattinson et l'autre par Ben Safdie. Un polar, donc, mais parasité par une vue en coupe du sous-prolétariat new-yorkais. Mais aussi, encore et toujours, l'histoire d'une fratrie.
Rencontrés au festival de Cannes, où Good Time était sélectionné en compétition, ils reviennent sur la conception de ce film hybride, prototype de film noir, où la frénésie de William Friedkin côtoie le cinéma documentaire de Frederick Wiseman.
Le Queens
« On a grandit dans le Queens. Un arrondissement pas vraiment cool. Rien à voir avec Manhattan ou Brooklyn. L'artère principale qui le traverse d'est en ouest, le Queens boulevard, est surnommée le « boulevard de la mort » ou le « boulevard des os brisés » en raison de son agressivité. Une route à huit voies en plein centre-ville. Un de mes amis indiens a vu sa famille entière se faire écraser par un chauffard en état d'ivresse. Ce boulevard déchire littéralement l'arrondissement de part en part. Il traverse tous les quartiers, toutes les ethnies, c'est un vrai microcosme de la planète. Vous avez les Anglais, les Espagnols, les Urugayens, les Trinitarios [un gang de rues très violent, composé de Latinos pour beaucoup venus de République dominicaine, ndlr], les Juifs, les Italiens, les Grecs, les républicains les plus réactionnaires, deux aéroports et tous les cimetières de New York ! Pendant longtemps, les gens originaires du Queens le cachaient. On bosse à Manhattan et on retourne dans le Queens pour dormir : une banale banlieue dortoir. Aucune raison d'être fier de son quartier. Pourtant, pas mal de célébrités en sont issues : les Ramones, Paul Simon, Susan Sarandon, Charly Bird et plein d'autres musiciens de jazz. Le but des habitants du Queens, c'est d'en sortir un jour. Quand nos parents ont décidé de s'y installer, on a eu l'impression de changer d'Etat tellement on s'éloignait du centre de New York. »
Robert Pattinson
« C'est lui qui nous a choisis. On travaillait alors sur un film appelé Uncut Gems, qui s'inspire d'un épisode de la vie de notre père, quand il travaillait dans le quartier des diamantaires à Manhattan. On venait de finir une nouvelle version du scénario quand Robert Pattinson nous a contactés pour nous dire qu'il voulait absolument être dans notre prochain film. Il n'y avait pas de rôle pour lui dans notre projet en cours alors on a saisi l'occasion pour écrire un nouveau film. Après le monde des toxicos dans Mad Love in New York, on voulait continuer à explorer les marges. On a jeté notre dévolu sur les petits criminels, les rêveurs d'un vie meilleure – avec toutes les questions métaphysiques qui tournent autour –, ces anti-héros qui ont passionné Norman Mailer et à qui il a consacré plusieurs roman, les gens qui apparaissent dans l'émission de téléréalité Cops. C'est ce genre de sentiments de vérité, d'urgence, qu'on cherchait à retranscrire. »
La méthode
« Dans notre cinéma, tout tourne autour des personnages. Les acteurs non professionnels avec lesquels on a travaillé avaient parfois le luxe de pouvoir puiser dans leur propre expérience pour composer leur personnage. C'est le cas du psychiatre ou de l'avocat, qui avaient cinquante ou soixante ans de carrière. On a donc décidé d'écrire toute l'histoire de Connie, le personnage joué par Robert Pattinson, de la naissance au moment où on le retrouve dans le film : les relations avec son frère, les raisons qui l'ont conduit en prison, les crimes qu'il a commis… Une biographie intégrale et précise qui nous a tous les trois aidés à composer ce rôle. Le film s'est écrit avec cette même logique, sans essayer d'emmener les personnages d'un point A à un point B. Nous avons simplement continué à dérouler la vie de nos héros un peu plus loin, et à la filmer le plus naturellement possible. On a toujours considéré que le personnage de Connie était une personne réelle dans la peau de laquelle Robert devait se fondre. Comme pour un biopic, à la différence que Connie n'a jamais vraiment existé. Pour nous, tout film est le biopic de ses personnages. »
La direction d’acteurs
« On ne fait pas la distinction entre les professionnels et les non professionnels. D'ailleurs, on ne les appelle pas “acteurs non professionnels” mais “acteurs débutants” (“ first timers”). Ils sont acteurs mais ils n'ont simplement pas encore eu l'opportunité de jouer. D'ailleurs, certains acteurs débutants semblent avoir déjà joué dans dix ou vingt films tellement ils sont bons. Chaque acteur avait sa façon de réagir, de jouer, c'était à nous de nous adapter et de leur donner les bonnes indications pour obtenir d'eux ce nous souhaitions. C'est au réalisateur de se transformer en caméléon, pour pénétrer dans la tête de chaque acteur. Et pas l'inverse. »
Benny et Joshua Safdie.
Yann Rabanier pour Télérama
Le partage des tâches
« Sur le plateau, nous parlons tous les deux aux acteurs, aux techniciens. Pour Good Time, le planning était tellement serré que nous avions parfois deux équipes qui tournaient en simultané. Au final, on a eu trente-cinq jours de tournage avec une moyenne de seize heures par jour. De la folie. Vraiment ! Quand Ben ne jouait pas dans la scène, il tenait la perche du son. Souvent avec le visage maquillé pour pouvoir être prêt pour la scène suivante. Pendant ce temps, je me concentrais sur l'image. Mais chacun de nous avait son mot à dire sur l'image et le son. La plupart des scènes ont été tournées dans le Queens mais notre directeur de la photographie a remarqué à la fin du tournage que nous avions tourné dans les cinq arrondissements de New York ! »
Le film de genre naturaliste
« Pour la première fois, on a voulu faire un film de genre, un vrai film policier, avec des poursuites en voiture, des cascades, mais en restant près des gens qu'on avait l'habitude de filmer dans nos films précédents : ces marginaux, ces losers à qui la vie n'a jamais souri. Des personnages pas forcément brillants à qui nous voulions, techniquement, réserver un traitement de choix, avec des moyens plus luxueux, à l'opposé de notre esthétique low fi habituelle : le 35 mm, des mouvements de grue, la steadicam [harnais articulé pour porter la caméra, ndlr], le son Dolby… Mais comme nous tournions dans des décors naturels, c'était un vrai défi d'utiliser ce matériel conçu pour le studio ou les grands espaces. Notre équipe devenait folle. Quand un bruit parasite venait perturber une scène, on choisissait de le laisser au lieu de refaire la scène. “Mais vous pourrez l'ajouter plus tard en post-production ! », disait l'ingénieur du son en s'arrachant les cheveux. On s'est vraiment compliqué la vie. Mais c'est une bonne chose. Quand on pousse les gens dans leurs retranchements, ils se donnent à fond. Pour le plan à la steadicam tourné dans la maison, le caméraman pouvait à peine bouger tellement les couloirs étaient étroits et le plafond, bas. Il nous a demandé de voir avec le propriétaire s'il était possible de couper un pan de mur pour que son attirail passe mais nous avons refusé. A la troisième prise, il a réussi à prendre le virage avec son bras articulé. Et le plan est magnifique. Le caméraman a pris une photo de lui avec un bras sur chaque mur pour montrer l'étroitesse du couloir tellement il n'en revenait pas. Un tournage vraiment athlétique ! »
Benny Safdie (à gauche) et Joshua Safdi (à droite).
Yann Rabanier pour Télérama
Robert Pattinson voulait à tout prix tourner sous leur direction. Les frères Josh et Benny Safdie ont écrit pour la star de “Twilight” un polar naturaliste très réussi, “Good Time”, filmé dans les rues de New York. Rencontre avec les réalisateurs.
Représentants d'un cinéma new-yorkais fauché, indépendant et relativement confidentiel, peuplé de marginaux (vagabonds, toxicos, voleurs à la petite semaine), les frères Josh(ua) et Ben(ny) Safdie se sont, pour la première fois, confrontés au star-system. Après avoir vu et adoré Mad Love in New York (2014), leur précédent film, Robert Pattinson, le vampire scintillant de la franchise Twilight, alors en plein virage auteuriste, leur déclare sa flamme.
Les frères Safdie y voient la possibilité de tourner un film de genre, sans renier leurs origines naturalistes : la cavale de deux frères, habitants du Queens et braqueurs occasionnels, dont l'un est interprété par Pattinson et l'autre par Ben Safdie. Un polar, donc, mais parasité par une vue en coupe du sous-prolétariat new-yorkais. Mais aussi, encore et toujours, l'histoire d'une fratrie.
Rencontrés au festival de Cannes, où Good Time était sélectionné en compétition, ils reviennent sur la conception de ce film hybride, prototype de film noir, où la frénésie de William Friedkin côtoie le cinéma documentaire de Frederick Wiseman.
Le Queens
« On a grandit dans le Queens. Un arrondissement pas vraiment cool. Rien à voir avec Manhattan ou Brooklyn. L'artère principale qui le traverse d'est en ouest, le Queens boulevard, est surnommée le « boulevard de la mort » ou le « boulevard des os brisés » en raison de son agressivité. Une route à huit voies en plein centre-ville. Un de mes amis indiens a vu sa famille entière se faire écraser par un chauffard en état d'ivresse. Ce boulevard déchire littéralement l'arrondissement de part en part. Il traverse tous les quartiers, toutes les ethnies, c'est un vrai microcosme de la planète. Vous avez les Anglais, les Espagnols, les Urugayens, les Trinitarios [un gang de rues très violent, composé de Latinos pour beaucoup venus de République dominicaine, ndlr], les Juifs, les Italiens, les Grecs, les républicains les plus réactionnaires, deux aéroports et tous les cimetières de New York ! Pendant longtemps, les gens originaires du Queens le cachaient. On bosse à Manhattan et on retourne dans le Queens pour dormir : une banale banlieue dortoir. Aucune raison d'être fier de son quartier. Pourtant, pas mal de célébrités en sont issues : les Ramones, Paul Simon, Susan Sarandon, Charly Bird et plein d'autres musiciens de jazz. Le but des habitants du Queens, c'est d'en sortir un jour. Quand nos parents ont décidé de s'y installer, on a eu l'impression de changer d'Etat tellement on s'éloignait du centre de New York. »
Robert Pattinson
« C'est lui qui nous a choisis. On travaillait alors sur un film appelé Uncut Gems, qui s'inspire d'un épisode de la vie de notre père, quand il travaillait dans le quartier des diamantaires à Manhattan. On venait de finir une nouvelle version du scénario quand Robert Pattinson nous a contactés pour nous dire qu'il voulait absolument être dans notre prochain film. Il n'y avait pas de rôle pour lui dans notre projet en cours alors on a saisi l'occasion pour écrire un nouveau film. Après le monde des toxicos dans Mad Love in New York, on voulait continuer à explorer les marges. On a jeté notre dévolu sur les petits criminels, les rêveurs d'un vie meilleure – avec toutes les questions métaphysiques qui tournent autour –, ces anti-héros qui ont passionné Norman Mailer et à qui il a consacré plusieurs roman, les gens qui apparaissent dans l'émission de téléréalité Cops. C'est ce genre de sentiments de vérité, d'urgence, qu'on cherchait à retranscrire. »
La méthode
« Dans notre cinéma, tout tourne autour des personnages. Les acteurs non professionnels avec lesquels on a travaillé avaient parfois le luxe de pouvoir puiser dans leur propre expérience pour composer leur personnage. C'est le cas du psychiatre ou de l'avocat, qui avaient cinquante ou soixante ans de carrière. On a donc décidé d'écrire toute l'histoire de Connie, le personnage joué par Robert Pattinson, de la naissance au moment où on le retrouve dans le film : les relations avec son frère, les raisons qui l'ont conduit en prison, les crimes qu'il a commis… Une biographie intégrale et précise qui nous a tous les trois aidés à composer ce rôle. Le film s'est écrit avec cette même logique, sans essayer d'emmener les personnages d'un point A à un point B. Nous avons simplement continué à dérouler la vie de nos héros un peu plus loin, et à la filmer le plus naturellement possible. On a toujours considéré que le personnage de Connie était une personne réelle dans la peau de laquelle Robert devait se fondre. Comme pour un biopic, à la différence que Connie n'a jamais vraiment existé. Pour nous, tout film est le biopic de ses personnages. »
La direction d’acteurs
« On ne fait pas la distinction entre les professionnels et les non professionnels. D'ailleurs, on ne les appelle pas “acteurs non professionnels” mais “acteurs débutants” (“ first timers”). Ils sont acteurs mais ils n'ont simplement pas encore eu l'opportunité de jouer. D'ailleurs, certains acteurs débutants semblent avoir déjà joué dans dix ou vingt films tellement ils sont bons. Chaque acteur avait sa façon de réagir, de jouer, c'était à nous de nous adapter et de leur donner les bonnes indications pour obtenir d'eux ce nous souhaitions. C'est au réalisateur de se transformer en caméléon, pour pénétrer dans la tête de chaque acteur. Et pas l'inverse. »
Benny et Joshua Safdie.
Yann Rabanier pour Télérama
Le partage des tâches
« Sur le plateau, nous parlons tous les deux aux acteurs, aux techniciens. Pour Good Time, le planning était tellement serré que nous avions parfois deux équipes qui tournaient en simultané. Au final, on a eu trente-cinq jours de tournage avec une moyenne de seize heures par jour. De la folie. Vraiment ! Quand Ben ne jouait pas dans la scène, il tenait la perche du son. Souvent avec le visage maquillé pour pouvoir être prêt pour la scène suivante. Pendant ce temps, je me concentrais sur l'image. Mais chacun de nous avait son mot à dire sur l'image et le son. La plupart des scènes ont été tournées dans le Queens mais notre directeur de la photographie a remarqué à la fin du tournage que nous avions tourné dans les cinq arrondissements de New York ! »
Le film de genre naturaliste
« Pour la première fois, on a voulu faire un film de genre, un vrai film policier, avec des poursuites en voiture, des cascades, mais en restant près des gens qu'on avait l'habitude de filmer dans nos films précédents : ces marginaux, ces losers à qui la vie n'a jamais souri. Des personnages pas forcément brillants à qui nous voulions, techniquement, réserver un traitement de choix, avec des moyens plus luxueux, à l'opposé de notre esthétique low fi habituelle : le 35 mm, des mouvements de grue, la steadicam [harnais articulé pour porter la caméra, ndlr], le son Dolby… Mais comme nous tournions dans des décors naturels, c'était un vrai défi d'utiliser ce matériel conçu pour le studio ou les grands espaces. Notre équipe devenait folle. Quand un bruit parasite venait perturber une scène, on choisissait de le laisser au lieu de refaire la scène. “Mais vous pourrez l'ajouter plus tard en post-production ! », disait l'ingénieur du son en s'arrachant les cheveux. On s'est vraiment compliqué la vie. Mais c'est une bonne chose. Quand on pousse les gens dans leurs retranchements, ils se donnent à fond. Pour le plan à la steadicam tourné dans la maison, le caméraman pouvait à peine bouger tellement les couloirs étaient étroits et le plafond, bas. Il nous a demandé de voir avec le propriétaire s'il était possible de couper un pan de mur pour que son attirail passe mais nous avons refusé. A la troisième prise, il a réussi à prendre le virage avec son bras articulé. Et le plan est magnifique. Le caméraman a pris une photo de lui avec un bras sur chaque mur pour montrer l'étroitesse du couloir tellement il n'en revenait pas. Un tournage vraiment athlétique ! »
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