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Obsèques de Mireille Darc : le magnifique discours de Philippe Labro

«Lorsqu’une amie s’en va, que veut-on garder d’elle ?  Que doit-on garder ?

La carrière – les débuts – la célébrité –  les films - les hommes d’une vie – l’image trop facilement utilisée d’une chute de reins dans une robe noire – les copains – l’histoire déjà vue ou et entendue sur tous les moyens de communication depuis 4 jours, c’est important, bien sûr, mais, est-ce que tout cela compte, aujourd’hui, face à cette vague de larmes que l’amour de Mireille, l’amour pour Mireille, a fait surgir de toutes parts ?  Des vagues qui déferlent, en hommages et souvenirs.

Lire aussi :  Obsèques de Mireille Darc : "Alain Delon et Pascal Desprez se sont regardés les yeux dans les yeux"

Ce qui compte, ce ne sont pas les « grandeurs d’établissement » dont parlait Blaise Pascal, ce qui compte, c’est l’humain, c’est la vérité d’une femme, ce qui faisait son exception, ce qui fait, depuis le 28 août dernier, l’unanimité. Le peintre Claude Monet disait « De ma vie, je n’ai jamais rien vu qui fût laid », nous pouvons toutes et tous dire : « De Mireille, je n’ai jamais rien connu, vu, lu, entendu, qui fût laid, mesquin ou médiocre ».

Parce qu’il y avait…

Lire aussi :  En images : le dernier adieu à Mireille Darc

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Dans sa tête, face à la laideur du monde, elle se récitait des vers

"

Il y avait : il y a : Cette étrange limpidité, cette douceur dans la voix, une voix – qui semblait apaiser, réconforter, calmer. C’était une voix bienveillante, au timbre un peu cassé, au rythme un peu lent, qui envoyait chaleur et lumière. Il y avait ce sourire, étincelant et généreux qu’elle dispensait sans cesse à l’égard des autres, tous les autres, toutes les autres, ce don presque oriental de la relativité, la précarité, et, par conséquent, une faim absolue de vie, de joie, de bonheur, de partage. « Je suis restée, a-t-elle écrit dans un de ses poèmes, l’enfant intransigeante, entêtée sur l’essentiel de la vie ».

Lire aussi :  Johnny et Laeticia Hallyday : leur au revoir à Mireille Darc

Qu’était-ce donc l’essentiel de Mireille ? Accorder aux gens, aux choses et au temps, l’importance qu’ils méritent, ce qui vous rend meilleure. Partir d’une éducation modeste pour se parfaire en connaissances, découvertes, surprises, sans jamais afficher son érudition ni sa culture mais avec liberté de choix et  d’action. L’essentiel : entre tendresse et indifférence, aller à la tendresse – entre égotisme et générosité, aller à la générosité, la main tendue, pour relier par exemple les maillons des chaînes de l’espoir. L’essentiel : choisir la beauté comme un refuge. Intervient ici même cette singulière histoire : il y a dans le portrait-entretien qu’elle eut avec Laurent Delahousse, un récit terrible : à ses débuts à Paris, vivant avec une amie à proximité de prostituées, Mireille qui ne s’appelle pas encore Darc, qui a des cheveux noirs et un nez qu’elle n’aime pas, se voit obligée, à la demande d’un client, et pour aider cette prostituée, d’assister à l’acte sexuel, la soumission de l’amour factice, celui qu’on impose au moyen de l’argent. Que faisiez-vous, lui demande Laurent, vous regardiez ? Elle sourit et dit : « Je me récitais des vers ».

« Je me récitais des vers ». Dans sa tête, face à la laideur du monde, elle se récitait des vers.

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Un geste de femme libre

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Alors ainsi, pour avoir frôlé, très tôt dans la vie – et de près -  l’univers du malheur des femmes, Mireille, au cours d’une de ses secondes vies (elle a eu plusieurs vies) est devenue l’auteur de documentaires et reportages d’une particulière qualité – celle de son regard, son approche (avec empathie et lucidité)  de la difficulté d’être. Elle aura signé 7 films documentaires, une heure de durée chaque, et 8 reportages de 28 à  45 minutes, consacrés aux sans-abris, aux religieuses, aux filles en prison et aussi parallèlement à l’univers médical. Pour obtenir leurs confessions, le déroulé de leur quotidien et blessures intimes, Mireille leur parlait et surtout les écoutait, ses deux beaux yeux sous sa frange blonde, fixant ses interlocutrices avec la lueur de la compréhension, la sororité, le partage. Pascal Desprez rapporte qu’elle leur donnait immédiatement son numéro de téléphone personnel. « J’avais trouvé ce geste de confiance incroyable », dit-il. C’était un geste de femme libre.

Pascal donc, son mari – 21 ans de vie commune – Alain, 15 ans de vie exaltée, un amour qui dura au-delà de ces 15 ans – Pierre, 6 années de vie intranquille – les 3 amours de ses vies. « Je suis une boule d’amour », disait-elle. Et quand, à plusieurs reprises, elle sent la mort l’agresser, elle dit de ses hommes : « Je me demande comment ils seront, sans moi ». Et ajoute, en riant : « sans doute très malheureux ! » Et elle disait cela dans ce rire en cascade, irrésistible musique. Ignorait-elle que nous aussi – vous aussi, tous et toutes serions malheureux.

Malheureux, mais soulagés car nous savons qu’elle est libérée. « Libera me ! Libera me ! »

"

Saluons Mireille DARC. Et embrassons MIMI.

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Et puis, voilà la nuit du 27 au 28 août. Le malheur est là, dans la chambre. Voyant la fin arriver, Pascal prévient Alain. Il vient. Les deux hommes de sa vie vont dormir là, dans les chambres d’à côté. Elle est déjà dans un semi-coma, mais, dit encore son mari, « savoir et sentir que nous étions là tous les deux », l’a peut-être aidée.

Son corps s’était battu. Elle avait perdu 15 kilos. Les arrêts cardiaques et les hémorragies cérébrales s’étaient succédé. André Malraux a écrit : « la mort n’est pas une chose si sérieuse, la douleur, oui ». Mireille  eut, face à la mort autant que face à la douleur, face à la souffrance, une hauteur de vue, l’attente de Dieu, la simple acceptation du départ. Dignité et courage.

À la fin, à un moment, elle a dit : « pas tout de suite », et puis, derniers mots : « Maman, maman », entre deux silences.

Elle avait si bien appris à vivre qu’elle sût apprendre à mourir. Saluons sa grâce, son intelligence, la force de ce corps si fragile, l’âme de ce bel esprit et sa liberté, la leçon d’amour qu’elle nous a donnée et qu’elle nous donne encore. Saluons Mireille DARC. Et embrassons MIMI.

Toute reproduction interdite

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«Lorsqu’une amie s’en va, que veut-on garder d’elle ?  Que doit-on garder ?

La carrière – les débuts – la célébrité –  les films - les hommes d’une vie – l’image trop facilement utilisée d’une chute de reins dans une robe noire – les copains – l’histoire déjà vue ou et entendue sur tous les moyens de communication depuis 4 jours, c’est important, bien sûr, mais, est-ce que tout cela compte, aujourd’hui, face à cette vague de larmes que l’amour de Mireille, l’amour pour Mireille, a fait surgir de toutes parts ?  Des vagues qui déferlent, en hommages et souvenirs.

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Ce qui compte, ce ne sont pas les « grandeurs d’établissement » dont parlait Blaise Pascal, ce qui compte, c’est l’humain, c’est la vérité d’une femme, ce qui faisait son exception, ce qui fait, depuis le 28 août dernier, l’unanimité. Le peintre Claude Monet disait « De ma vie, je n’ai jamais rien vu qui fût laid », nous pouvons toutes et tous dire : « De Mireille, je n’ai jamais rien connu, vu, lu, entendu, qui fût laid, mesquin ou médiocre ».

Parce qu’il y avait…

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Dans sa tête, face à la laideur du monde, elle se récitait des vers

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Il y avait : il y a : Cette étrange limpidité, cette douceur dans la voix, une voix – qui semblait apaiser, réconforter, calmer. C’était une voix bienveillante, au timbre un peu cassé, au rythme un peu lent, qui envoyait chaleur et lumière. Il y avait ce sourire, étincelant et généreux qu’elle dispensait sans cesse à l’égard des autres, tous les autres, toutes les autres, ce don presque oriental de la relativité, la précarité, et, par conséquent, une faim absolue de vie, de joie, de bonheur, de partage. « Je suis restée, a-t-elle écrit dans un de ses poèmes, l’enfant intransigeante, entêtée sur l’essentiel de la vie ».

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Qu’était-ce donc l’essentiel de Mireille ? Accorder aux gens, aux choses et au temps, l’importance qu’ils méritent, ce qui vous rend meilleure. Partir d’une éducation modeste pour se parfaire en connaissances, découvertes, surprises, sans jamais afficher son érudition ni sa culture mais avec liberté de choix et  d’action. L’essentiel : entre tendresse et indifférence, aller à la tendresse – entre égotisme et générosité, aller à la générosité, la main tendue, pour relier par exemple les maillons des chaînes de l’espoir. L’essentiel : choisir la beauté comme un refuge. Intervient ici même cette singulière histoire : il y a dans le portrait-entretien qu’elle eut avec Laurent Delahousse, un récit terrible : à ses débuts à Paris, vivant avec une amie à proximité de prostituées, Mireille qui ne s’appelle pas encore Darc, qui a des cheveux noirs et un nez qu’elle n’aime pas, se voit obligée, à la demande d’un client, et pour aider cette prostituée, d’assister à l’acte sexuel, la soumission de l’amour factice, celui qu’on impose au moyen de l’argent. Que faisiez-vous, lui demande Laurent, vous regardiez ? Elle sourit et dit : « Je me récitais des vers ».

« Je me récitais des vers ». Dans sa tête, face à la laideur du monde, elle se récitait des vers.

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Un geste de femme libre

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Alors ainsi, pour avoir frôlé, très tôt dans la vie – et de près -  l’univers du malheur des femmes, Mireille, au cours d’une de ses secondes vies (elle a eu plusieurs vies) est devenue l’auteur de documentaires et reportages d’une particulière qualité – celle de son regard, son approche (avec empathie et lucidité)  de la difficulté d’être. Elle aura signé 7 films documentaires, une heure de durée chaque, et 8 reportages de 28 à  45 minutes, consacrés aux sans-abris, aux religieuses, aux filles en prison et aussi parallèlement à l’univers médical. Pour obtenir leurs confessions, le déroulé de leur quotidien et blessures intimes, Mireille leur parlait et surtout les écoutait, ses deux beaux yeux sous sa frange blonde, fixant ses interlocutrices avec la lueur de la compréhension, la sororité, le partage. Pascal Desprez rapporte qu’elle leur donnait immédiatement son numéro de téléphone personnel. « J’avais trouvé ce geste de confiance incroyable », dit-il. C’était un geste de femme libre.

Pascal donc, son mari – 21 ans de vie commune – Alain, 15 ans de vie exaltée, un amour qui dura au-delà de ces 15 ans – Pierre, 6 années de vie intranquille – les 3 amours de ses vies. « Je suis une boule d’amour », disait-elle. Et quand, à plusieurs reprises, elle sent la mort l’agresser, elle dit de ses hommes : « Je me demande comment ils seront, sans moi ». Et ajoute, en riant : « sans doute très malheureux ! » Et elle disait cela dans ce rire en cascade, irrésistible musique. Ignorait-elle que nous aussi – vous aussi, tous et toutes serions malheureux.

Malheureux, mais soulagés car nous savons qu’elle est libérée. « Libera me ! Libera me ! »

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Saluons Mireille DARC. Et embrassons MIMI.

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Et puis, voilà la nuit du 27 au 28 août. Le malheur est là, dans la chambre. Voyant la fin arriver, Pascal prévient Alain. Il vient. Les deux hommes de sa vie vont dormir là, dans les chambres d’à côté. Elle est déjà dans un semi-coma, mais, dit encore son mari, « savoir et sentir que nous étions là tous les deux », l’a peut-être aidée.

Son corps s’était battu. Elle avait perdu 15 kilos. Les arrêts cardiaques et les hémorragies cérébrales s’étaient succédé. André Malraux a écrit : « la mort n’est pas une chose si sérieuse, la douleur, oui ». Mireille  eut, face à la mort autant que face à la douleur, face à la souffrance, une hauteur de vue, l’attente de Dieu, la simple acceptation du départ. Dignité et courage.

À la fin, à un moment, elle a dit : « pas tout de suite », et puis, derniers mots : « Maman, maman », entre deux silences.

Elle avait si bien appris à vivre qu’elle sût apprendre à mourir. Saluons sa grâce, son intelligence, la force de ce corps si fragile, l’âme de ce bel esprit et sa liberté, la leçon d’amour qu’elle nous a donnée et qu’elle nous donne encore. Saluons Mireille DARC. Et embrassons MIMI.

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