ROBOTS - C'est à une oeuvre magistrale que s'est attaqué Denis Villeneuve, avec succès selon les critiques. Dans Blade Runner 2049, le réalisateur devait trouver un moyen de s'inscrire dans l'univers visuel si particulier de Ridley Scott. Mais, aussi et surtout, d'interroger la question philosophique centrale du livre de Philip K. Dick, dont est tiré le film de 1982: "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?"
Et qui peut se résumer succinctement ainsi: comment distinguer l'homme de la machine, quand celle-ci tend à lui ressembler à la perfection? Une question qui semble toujours d'actualité, tant les annonces de progrès en robotique et en intelligence artificielle se multiplient ces dernières années.
Mais même si l'on part du principe que la technologie permettra un jour de créer des androïdes ressemblant comme deux gouttes d'eau à un être humain, reste à savoir si l'espèce humaine s'engagera dans cette direction. Et justement, depuis la sortie du livre de K. Dick, roboticiens et psychologues se sont rendus compte d'un phénomène étrange, qui est en train de redéfinir notre vision de la robotique. Et qui pourrait nous éloigner totalement de cette vision de l'androïde.
Une vallée de l'étrange...
Son nom? La vallée de l'étrange (uncanny valley). Elle a été évoquée pour la première fois deux ans après la sortie du livre de K. Dick, en 1970, par un roboticien japonais, Masahiro Mori. Le constat est assez simple: plus un robot va ressembler à un être humain, plus nous allons nous sentir familier avec lui.
Jusque là, rien de plus normal. Sauf qu'à partir d'un point bien précis, quand la machine est presque comme l'homme, mais pas tout à fait, un sentiment de malaise nous fait rejeter l'automate. Il faudrait que la ressemblance soit parfaite pour que cette vallée de l'étrange soit dépassée et que le robot nous soit familier.
Le concept peut sembler tout simple comme cela, mais engendre beaucoup de débat dans la communauté scientifique. Jusqu'en 2007, environ 500 publications avaient abordé le sujet. Ces 10 dernières années, plus de 6000 articles scientifiques se sont intéressés à ce concept.
S'il n'y a pas de consensus sur l'universalité de ce phénomène, certaines études ont trouvé une courbe étonnamment proche de celle de Mori, rapporte le Journal du CNRS. Par exemple cette étude de 2015 montrant l'évolution de notre confiance quand nous sommes confrontés à une tête robotique plus ou moins humaine.
"La vallée de l'étrange est parfois perçue comme un critère, un peu comme le test de Turing", qui permettrait de tester si une intelligence artificielle peut se faire passer pour un humain, explique au HuffPost Jean-Louis Vercher, directeur de recherche au CNRS.
... qui redéfinit notre rapport à la machine
"Ce phénomène de vallée de l'étrange, c'est le compromis entre notre compréhension que nous sommes face à une machine et notre croyance que nous sommes face à un humain", estime Jean-Louis Vercher. Le neuroscientifique, en charge de l'institut des sciences du mouvement, affirme que ce concept a entraîné un changement dans la profession ces dernières années.
"Il y a une position relativement commune, qui consiste à dire qu'il est difficile d'imiter le vivant et qu'il ne faut peut-être pas tenter une telle chose", explique-t-il. C'est aussi un phénomène que l'on voit dans le domaine des prothèses. Alors qu'on a essayé par le passé de fabriquer des mains très réalistes, "certains patients les ont rejetées, car elles étaient justement trop réelles", se rappelle le chercheur. On voit ainsi de plus en plus de mains bioniques, pratiques, mais bien différenciées d'une main humaine.
On le voit également dans les robots grand public célèbres, comme le petit Nao et son grand frère Pepper, qui, s'ils sont humanoïdes, n'essayent pas totalement de copier l'homme. "Derrière tout cela, il y a la question de l'acceptation par le public, mais aussi du coût nécessaire pour franchir la vallée de l'étrange", estime Jean-Louis Vercher.
Le robot, simple outil ou bien plus? Un débat à ouvrir
Evidemment, tout le monde ne suit pas ce chemin. Si la majeure partie des chercheurs n'essayent pas de franchir cette vallée pour rapprocher la machine de l'homme, "certains, peu nombreux, travaillent sur des androïdes visant à aller au-delà de la vallée", explique au Huffpost Raja Chatila, professeur de robotique à l'université Pierre et Marie Curie.
Et de citer le cas de Hiroshi Ishiguro, qui a fabriqué un robot en silicone a son image, ou des robots et poupées sexuelles que leurs fabricants tentent d'humaniser avec les moyens du bord.
Cette frange minoritaire finira-t-elle par s'imposer, rendant un futur peuplé de réplicants et autres androïdes possible? Difficile à dire. En tout cas, ce n'est pas le chemin pris pour le moment par la majorité des roboticiens.
Pour Raja Chatila, il n'est pas certain que cela soit même techniquement possible. "Pour l'instant, on fait semblant de s'en rapprocher. Cela étant dit, je ne pense pas que ce soit souhaitable de continuer dans cette direction", explique le chercheur.
Celui-ci estime que le débat sur l'opportunité et les problèmes éthiques que poseraient un franchissement de la vallée n'a pas encore eu lieu. A tort.
"Je crois qu'il faut se poser la question. Si on traverse la frontière en gommant les différences entre un humain et une machine, on pose la question de ce qu'est un être humain. On pose aussi la question du droit des robots. Personnellement, je pense que les robots doivent rester des outils au service des humains, pour répondre à nos besoins. En s'attardant sur la confusion entre la chose et son image, ou ignore la question qui se pose depuis le début de la philosophie interrogeant la nature de l'homme et sa place dans la nature."Raja Chatila
Est-ce que les androïdes rêvent de moutons électriques? En posant la question, Philip K. Dick interrogeait autant la nature d'une hypothétique machine que celle de l'homme. Il pointait déjà du doigt des questions philosophiques et éthiques qui seront certainement soulevées et débattues demain. Quoi de plus logique pour ce génie de la science fiction?
Read AgainROBOTS - C'est à une oeuvre magistrale que s'est attaqué Denis Villeneuve, avec succès selon les critiques. Dans Blade Runner 2049, le réalisateur devait trouver un moyen de s'inscrire dans l'univers visuel si particulier de Ridley Scott. Mais, aussi et surtout, d'interroger la question philosophique centrale du livre de Philip K. Dick, dont est tiré le film de 1982: "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?"
Et qui peut se résumer succinctement ainsi: comment distinguer l'homme de la machine, quand celle-ci tend à lui ressembler à la perfection? Une question qui semble toujours d'actualité, tant les annonces de progrès en robotique et en intelligence artificielle se multiplient ces dernières années.
Mais même si l'on part du principe que la technologie permettra un jour de créer des androïdes ressemblant comme deux gouttes d'eau à un être humain, reste à savoir si l'espèce humaine s'engagera dans cette direction. Et justement, depuis la sortie du livre de K. Dick, roboticiens et psychologues se sont rendus compte d'un phénomène étrange, qui est en train de redéfinir notre vision de la robotique. Et qui pourrait nous éloigner totalement de cette vision de l'androïde.
Une vallée de l'étrange...
Son nom? La vallée de l'étrange (uncanny valley). Elle a été évoquée pour la première fois deux ans après la sortie du livre de K. Dick, en 1970, par un roboticien japonais, Masahiro Mori. Le constat est assez simple: plus un robot va ressembler à un être humain, plus nous allons nous sentir familier avec lui.
Jusque là, rien de plus normal. Sauf qu'à partir d'un point bien précis, quand la machine est presque comme l'homme, mais pas tout à fait, un sentiment de malaise nous fait rejeter l'automate. Il faudrait que la ressemblance soit parfaite pour que cette vallée de l'étrange soit dépassée et que le robot nous soit familier.
Le concept peut sembler tout simple comme cela, mais engendre beaucoup de débat dans la communauté scientifique. Jusqu'en 2007, environ 500 publications avaient abordé le sujet. Ces 10 dernières années, plus de 6000 articles scientifiques se sont intéressés à ce concept.
S'il n'y a pas de consensus sur l'universalité de ce phénomène, certaines études ont trouvé une courbe étonnamment proche de celle de Mori, rapporte le Journal du CNRS. Par exemple cette étude de 2015 montrant l'évolution de notre confiance quand nous sommes confrontés à une tête robotique plus ou moins humaine.
"La vallée de l'étrange est parfois perçue comme un critère, un peu comme le test de Turing", qui permettrait de tester si une intelligence artificielle peut se faire passer pour un humain, explique au HuffPost Jean-Louis Vercher, directeur de recherche au CNRS.
... qui redéfinit notre rapport à la machine
"Ce phénomène de vallée de l'étrange, c'est le compromis entre notre compréhension que nous sommes face à une machine et notre croyance que nous sommes face à un humain", estime Jean-Louis Vercher. Le neuroscientifique, en charge de l'institut des sciences du mouvement, affirme que ce concept a entraîné un changement dans la profession ces dernières années.
"Il y a une position relativement commune, qui consiste à dire qu'il est difficile d'imiter le vivant et qu'il ne faut peut-être pas tenter une telle chose", explique-t-il. C'est aussi un phénomène que l'on voit dans le domaine des prothèses. Alors qu'on a essayé par le passé de fabriquer des mains très réalistes, "certains patients les ont rejetées, car elles étaient justement trop réelles", se rappelle le chercheur. On voit ainsi de plus en plus de mains bioniques, pratiques, mais bien différenciées d'une main humaine.
On le voit également dans les robots grand public célèbres, comme le petit Nao et son grand frère Pepper, qui, s'ils sont humanoïdes, n'essayent pas totalement de copier l'homme. "Derrière tout cela, il y a la question de l'acceptation par le public, mais aussi du coût nécessaire pour franchir la vallée de l'étrange", estime Jean-Louis Vercher.
Le robot, simple outil ou bien plus? Un débat à ouvrir
Evidemment, tout le monde ne suit pas ce chemin. Si la majeure partie des chercheurs n'essayent pas de franchir cette vallée pour rapprocher la machine de l'homme, "certains, peu nombreux, travaillent sur des androïdes visant à aller au-delà de la vallée", explique au Huffpost Raja Chatila, professeur de robotique à l'université Pierre et Marie Curie.
Et de citer le cas de Hiroshi Ishiguro, qui a fabriqué un robot en silicone a son image, ou des robots et poupées sexuelles que leurs fabricants tentent d'humaniser avec les moyens du bord.
Cette frange minoritaire finira-t-elle par s'imposer, rendant un futur peuplé de réplicants et autres androïdes possible? Difficile à dire. En tout cas, ce n'est pas le chemin pris pour le moment par la majorité des roboticiens.
Pour Raja Chatila, il n'est pas certain que cela soit même techniquement possible. "Pour l'instant, on fait semblant de s'en rapprocher. Cela étant dit, je ne pense pas que ce soit souhaitable de continuer dans cette direction", explique le chercheur.
Celui-ci estime que le débat sur l'opportunité et les problèmes éthiques que poseraient un franchissement de la vallée n'a pas encore eu lieu. A tort.
"Je crois qu'il faut se poser la question. Si on traverse la frontière en gommant les différences entre un humain et une machine, on pose la question de ce qu'est un être humain. On pose aussi la question du droit des robots. Personnellement, je pense que les robots doivent rester des outils au service des humains, pour répondre à nos besoins. En s'attardant sur la confusion entre la chose et son image, ou ignore la question qui se pose depuis le début de la philosophie interrogeant la nature de l'homme et sa place dans la nature."Raja Chatila
Est-ce que les androïdes rêvent de moutons électriques? En posant la question, Philip K. Dick interrogeait autant la nature d'une hypothétique machine que celle de l'homme. Il pointait déjà du doigt des questions philosophiques et éthiques qui seront certainement soulevées et débattues demain. Quoi de plus logique pour ce génie de la science fiction?
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