Search

Sandrine Rousseau: “Christine Angot et moi, nous sommes apparues toutes deux fragilisées”

Depuis la diffusion d'"On n'est pas couché", ses larmes et la polémique avec Christine Angot ont occulté son livre. Dans cet ouvrage, Sandrine Rousseau revient sur l'affaire Baupin qui a secoué le parti écologiste et provoqué de nombreux débats sur les violences sexuelles. Aujourd'hui, elle revient sur cette histoire.

En mai 2016, quatorze femmes accusaient le député EE-LV Denis Baupin de harcèlements et d'agressions sexuelles, une affaire classée sans suite en mars 2017 pour prescription. Quatre d’entre elles témoignaient à visage découvert, dont Sandrine Rousseau. L'ex-secrétaire nationale adjointe du parti publie Parler (Ed. Flammarion), un livre très personnel où elle explique combien il est nécessaire d'en finir avec la loi du silence. C'est d'ailleurs à l'occasion de la sortie de l'ouvrage qu'elle a été invitée sur le plateau d'On n'est pas couché (France 2) ce samedi 30 septembre. S'en est suivie une violente altercation entre elle et l'auteure Christine Angot, également victime de violences sexuelles.

Pourquoi était-ce important pour vous d'écrire ce livre, et pourquoi maintenant ?

Sandrine Rousseau – Je ne sais pas vraiment pourquoi maintenant à vrai dire. Je pense que je sentais que j'allais mieux, même si l'on a vu que ce n'est jamais complètement acquis… Depuis samedi (jour de la diffusion de l'émission d'On n'est pas couché, ndlr), davantage de femmes me contactent pour me raconter leur parcours de parole et toutes les difficultés que cela représente. On ne peut pas laisser la situation telle qu'elle l'est aujourd'hui. En tout cas, pour moi, ce n'était pas possible : la question des violences sexuelles ne doit pas se résoudre en s’apitoyant juste pendant un instant, il faut s'inscrire dans la durée, et s’interroger sur pourquoi la société rend si difficile cette parole. Dès les premières révélations de l'affaire dite “Baupin” dans les médias, j'ai senti que j'avais une responsabilité en tant que femme, mais aussi en tant que femme privilégiée. Je suis une femme politique, j'ai un capital social, j'ai un accès aux médias, je n'ai pas été non plus complètement détruite au point que je ne puisse pas prendre la parole…Toutes ces caractéristiques font que j'ai cette responsabilité. Certaines ne peuvent pas le faire, cela ne veut pas dire que je parle pour elles, mais je parle pour cette cause là. Parler permet aussi de protéger d'autres femmes.

Dans votre livre, vous expliquez comment cette affaire vous a fait prendre conscience que vous apparteniez à un genre... Qu'est-ce que cela signifie exactement ?

Avant, j'étais féministe parce que je voulais lutter contre les inégalités femmes-hommes. Mais à partir de l'agression, beaucoup de femmes se sont tournées vers moi pour me raconter leur histoire. J'ai réalisé que nous constituions une communauté de souffrances. Naître homme ou femme ne fait pas courir les mêmes risques, et n'expose pas aux mêmes dangers. Comprendre ça, c'est comprendre dans sa chair ce que signifie être une femme.

En 1999, Christine Angot publie L'Inceste, un roman basé sur son enfance et les viols subis de la part de son père. Sur le plateau de Thierry Ardisson, les rires éclatent alors qu'elle en lit des passages très durs. Samedi dernier, sur "On n'est pas couché", nous avons assisté à une scène douloureuse entre vous et l'auteure. Que pensez-vous du traitement médiatique des violences faites aux femmes ?

D'une manière générale, le traitement médiatique des violences sexuelles est conforme à sa perception dans la société, c'est-à-dire à une minimisation. Il y a quelque temps j'ai lu un article de Libération sur les féminicides, j'ai alors créé des alertes Google sur le sujet. C'est effroyable les titres de presse que l'on trouve : "Les œufs étaient trop cuits, elle finit dans la poubelle". S'il s'agissait d'un autre de type de meurtre, je pense profondément que l'on n’en parlera pas de cette manière ludique. A cela s'ajoute le fait qu'il est difficile aujourd'hui de sortir d'un traitement trop victimaire. On n'arrive pas encore à aller dans l'analyse des choses sur le sujet, nous n'arrivons pas à dépasser le cap du constat. Les femmes victimes de violences sexuelles graves comme les viols restent marquées toute leur vie, l'après n'est pas assez pris en compte. N'importe quelle autre violence serait pourtant regardée de manière beaucoup objective. Si on annonçait par exemple : "350 femmes meurent chaque année dans la rue après s'être faites voler leur sac à main", ou encore "350 hommes meurent chaque année après s'être fait voler leur sacoche", on assisterait à un scandale national. Pourtant,  les féminicides ne semblent pas soulever plus d'émotion que ça. L'invisibilisation de la question dans les médias participe de l'invisibilisation des victimes. Si l'on regarde les statistiques, aucune famille n'est épargnée. Il y a eu des évolutions, bien sûr, mais il reste encore beaucoup à faire.

Quel regard portez-vous sur votre passage à "On n'est pas couché" aujourd'hui, y retourneriez-vous ?

Dans la lutte contre les violences sexuelles, l'enjeu est de toucher tout le monde. Les femmes qui souffrent le plus sont souvent les plus isolées économiquement ou socialement. Je pense que le sujet n'est pas adapter à une émission comme On n'est pas couché mais il est important de parler aussi à ce public là. L'épisode diffusé samedi dernier révèle beaucoup de choses, et peut-être que dans quelques années on analysera le rôle qu'il a joué dans l’évolution de la perception du problème. Une chose est sûre : cela montre combien une agression sexuelle fragilise. Que ce soit Christine Angot ou moi, nous sommes apparues toutes deux fragilisées à ce moment-là. Si le sujet de l'émission avait été les violences et non pas les violences sexuelles, les choses n'auraient pas autant dégénéré. J'ai trouvé que les hommes présents sur le plateau ne comprenaient pas complètement ce qui était en train de se passer. Peut-être ont-ils réalisé après. Mais l'émission a aussi permis d'aborder des sujets intéressants, comme la notion de consentement par exemple. Aujourd'hui, je ne sais pas encore réellement comment interpréter cette séquence, je ne sais pas non plus quelles conséquences elle aura. Ce n'était pas facile, c'est évident. Et en même temps, si elle permet de faire avancer les choses, tant mieux...

Dans votre livre vous racontez qu'à plusieurs reprises des amies vous ont reproché de ne pas l'avoir giflé, de ne pas avoir hurlé. Dire non, c'est difficile ?

L'absence de consentement ce n'est pas juste dire "non". Ne pas être consentante c'est ne pas dire "oui", ne rien dire, c'est aussi dire "non". En ce qui me concerne, l'agression est arrivée par surprise, j'ai dit "non" par mes gestes, en le repoussant, mais je n'ai pas eu la possibilité de le dire. Le texte de loi dit bien qu'il faut que le consentement soit clair et explicite. Si on veut embrasser une femme, coucher avec elle, ce n'est quand même pas compliqué de lui demander si elle en a envie. Ce n'est pas une question déshonorante, il faut vraiment la poser pour être sûr que la personne soit dans les conditions optimales. Et si l'on arrive à être dans ce type relation femmes-hommes, en se parlant, on change complètement les choses : le rapport de domination disparaît.

Vous racontez également comment votre mère a été agressée à deux reprises par le patron de votre-grand mère lorsqu'elle était adolescente, et le tabou qui s'en est suivi au sein de votre famille. Est-ce que votre position dans la hiérarchie de EE-LV vous a aidée à parler ?

Ma grand-mère fait partie d'une génération où les violences sexuelles étaient beaucoup plus taboues. Elle était dans une situation de dépendance économique complète, c'était très compliqué pour elle de faire autrement. Certes, j'étais à un rang hiérarchique assez élevé dans le parti, mais Denis Baupin et moi-même n'étions pas dans une égalité de traitement, je n'avais pas le même poids que lui au sein de EE-LV. Il est vrai que le fait de ne pas être dans une situation de dépendance économique à ce moment-là a peut-être facilité les choses pour moi, c'est possible. Sans doute que cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles je ressens une forme de responsabilité vis-à-vis d'autres femmes plus en difficulté car leur situation économique en dépend. Les violences sexuelles sont, d'après moi, l'aboutissement d'une série de dominations ancrées dès le plus jeune âge. Cela peut prendre des formes anodines comme le fait de couper la parole aux femmes quand elles parlent, de les rendre invisibles, de se moquer de leur consentement... Il y a un continuum entre la cour de récréation où le terrain de foot des garçons prend les quatre cinquièmes de l'espace, et ne laisse plus qu'un cinquième pour les activités des filles et les violences faites aux femmes dans l'espace public. La domination est une multitude de petits facteurs, et j'ai longtemps pensé qu'il fallait le prendre par les petites choses, alors qu'en réalité il faut prendre les choses dans leur globalité.

Vous avez récemment quitté vos fonctions de secrétaire adjointe nationale pour vous consacrer à la lutte contre les violences faites aux femmes, pourquoi ce choix, et quelle forme cela va prendre ?

Enormément de femmes se sont tournées vers nous après l'affaire, et quelque chose de très profond s'est créé en moi. Seulement 1% des agresseurs et des violeurs sont condamnés à ce jour, 99 % d'entre eux sont dans la nature. Les femmes violées, elles, restent toute leur vie avec leur viol. Un sentiment d'urgence est apparu, j'avais été confrontée à une réalité, et je ne pouvais plus l'ignorer. Notre association n'a pas vocation à fournir un accompagnement juridique ou psychologique, mais c'est un mouvement d'entraide, de solidarité. Un lieu où l'on peut parler librement, et où l'on peut aller porter plainte accompagnée, ne plus être seule face à ça. Dans les moments où l'on perd pied face à une agression sexuelle, on se sent réellement comprise par des personnes qui ont vécu la même chose. C'est une association précieuse, et qui manquait. Bien sûr, d'autres associations font un travail remarquable comme le Collectif contre le viol, le Planning familial ou l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Quand on commence à parler, on est surtout confrontés à des professionnels (des avocats, des policiers, des médecins...), c'est nécessaire et nous orienterons les femmes du mieux que nous le pouvons dans ces démarches, mais une fois que l'on sort de ces bureaux, on se retrouve toute seule face à ça. Le réseau de soutien que nous nous sommes créé pendant l'affaire avec Annie Lahmer, Elen Debost, et Isabelle Attard (les autres femmes qui ont témoigné à visage découvert) a été profondément important. Notre but est d'apporter un peu de chaleur collective.

Propos recueillis par Fanny Marlier

Parler, de Sandrine Rousseau, Ed. Flammarion, paru le 27 septembre 2017.

Let's block ads! (Why?)

Read Again

Depuis la diffusion d'"On n'est pas couché", ses larmes et la polémique avec Christine Angot ont occulté son livre. Dans cet ouvrage, Sandrine Rousseau revient sur l'affaire Baupin qui a secoué le parti écologiste et provoqué de nombreux débats sur les violences sexuelles. Aujourd'hui, elle revient sur cette histoire.

En mai 2016, quatorze femmes accusaient le député EE-LV Denis Baupin de harcèlements et d'agressions sexuelles, une affaire classée sans suite en mars 2017 pour prescription. Quatre d’entre elles témoignaient à visage découvert, dont Sandrine Rousseau. L'ex-secrétaire nationale adjointe du parti publie Parler (Ed. Flammarion), un livre très personnel où elle explique combien il est nécessaire d'en finir avec la loi du silence. C'est d'ailleurs à l'occasion de la sortie de l'ouvrage qu'elle a été invitée sur le plateau d'On n'est pas couché (France 2) ce samedi 30 septembre. S'en est suivie une violente altercation entre elle et l'auteure Christine Angot, également victime de violences sexuelles.

Pourquoi était-ce important pour vous d'écrire ce livre, et pourquoi maintenant ?

Sandrine Rousseau – Je ne sais pas vraiment pourquoi maintenant à vrai dire. Je pense que je sentais que j'allais mieux, même si l'on a vu que ce n'est jamais complètement acquis… Depuis samedi (jour de la diffusion de l'émission d'On n'est pas couché, ndlr), davantage de femmes me contactent pour me raconter leur parcours de parole et toutes les difficultés que cela représente. On ne peut pas laisser la situation telle qu'elle l'est aujourd'hui. En tout cas, pour moi, ce n'était pas possible : la question des violences sexuelles ne doit pas se résoudre en s’apitoyant juste pendant un instant, il faut s'inscrire dans la durée, et s’interroger sur pourquoi la société rend si difficile cette parole. Dès les premières révélations de l'affaire dite “Baupin” dans les médias, j'ai senti que j'avais une responsabilité en tant que femme, mais aussi en tant que femme privilégiée. Je suis une femme politique, j'ai un capital social, j'ai un accès aux médias, je n'ai pas été non plus complètement détruite au point que je ne puisse pas prendre la parole…Toutes ces caractéristiques font que j'ai cette responsabilité. Certaines ne peuvent pas le faire, cela ne veut pas dire que je parle pour elles, mais je parle pour cette cause là. Parler permet aussi de protéger d'autres femmes.

Dans votre livre, vous expliquez comment cette affaire vous a fait prendre conscience que vous apparteniez à un genre... Qu'est-ce que cela signifie exactement ?

Avant, j'étais féministe parce que je voulais lutter contre les inégalités femmes-hommes. Mais à partir de l'agression, beaucoup de femmes se sont tournées vers moi pour me raconter leur histoire. J'ai réalisé que nous constituions une communauté de souffrances. Naître homme ou femme ne fait pas courir les mêmes risques, et n'expose pas aux mêmes dangers. Comprendre ça, c'est comprendre dans sa chair ce que signifie être une femme.

En 1999, Christine Angot publie L'Inceste, un roman basé sur son enfance et les viols subis de la part de son père. Sur le plateau de Thierry Ardisson, les rires éclatent alors qu'elle en lit des passages très durs. Samedi dernier, sur "On n'est pas couché", nous avons assisté à une scène douloureuse entre vous et l'auteure. Que pensez-vous du traitement médiatique des violences faites aux femmes ?

D'une manière générale, le traitement médiatique des violences sexuelles est conforme à sa perception dans la société, c'est-à-dire à une minimisation. Il y a quelque temps j'ai lu un article de Libération sur les féminicides, j'ai alors créé des alertes Google sur le sujet. C'est effroyable les titres de presse que l'on trouve : "Les œufs étaient trop cuits, elle finit dans la poubelle". S'il s'agissait d'un autre de type de meurtre, je pense profondément que l'on n’en parlera pas de cette manière ludique. A cela s'ajoute le fait qu'il est difficile aujourd'hui de sortir d'un traitement trop victimaire. On n'arrive pas encore à aller dans l'analyse des choses sur le sujet, nous n'arrivons pas à dépasser le cap du constat. Les femmes victimes de violences sexuelles graves comme les viols restent marquées toute leur vie, l'après n'est pas assez pris en compte. N'importe quelle autre violence serait pourtant regardée de manière beaucoup objective. Si on annonçait par exemple : "350 femmes meurent chaque année dans la rue après s'être faites voler leur sac à main", ou encore "350 hommes meurent chaque année après s'être fait voler leur sacoche", on assisterait à un scandale national. Pourtant,  les féminicides ne semblent pas soulever plus d'émotion que ça. L'invisibilisation de la question dans les médias participe de l'invisibilisation des victimes. Si l'on regarde les statistiques, aucune famille n'est épargnée. Il y a eu des évolutions, bien sûr, mais il reste encore beaucoup à faire.

Quel regard portez-vous sur votre passage à "On n'est pas couché" aujourd'hui, y retourneriez-vous ?

Dans la lutte contre les violences sexuelles, l'enjeu est de toucher tout le monde. Les femmes qui souffrent le plus sont souvent les plus isolées économiquement ou socialement. Je pense que le sujet n'est pas adapter à une émission comme On n'est pas couché mais il est important de parler aussi à ce public là. L'épisode diffusé samedi dernier révèle beaucoup de choses, et peut-être que dans quelques années on analysera le rôle qu'il a joué dans l’évolution de la perception du problème. Une chose est sûre : cela montre combien une agression sexuelle fragilise. Que ce soit Christine Angot ou moi, nous sommes apparues toutes deux fragilisées à ce moment-là. Si le sujet de l'émission avait été les violences et non pas les violences sexuelles, les choses n'auraient pas autant dégénéré. J'ai trouvé que les hommes présents sur le plateau ne comprenaient pas complètement ce qui était en train de se passer. Peut-être ont-ils réalisé après. Mais l'émission a aussi permis d'aborder des sujets intéressants, comme la notion de consentement par exemple. Aujourd'hui, je ne sais pas encore réellement comment interpréter cette séquence, je ne sais pas non plus quelles conséquences elle aura. Ce n'était pas facile, c'est évident. Et en même temps, si elle permet de faire avancer les choses, tant mieux...

Dans votre livre vous racontez qu'à plusieurs reprises des amies vous ont reproché de ne pas l'avoir giflé, de ne pas avoir hurlé. Dire non, c'est difficile ?

L'absence de consentement ce n'est pas juste dire "non". Ne pas être consentante c'est ne pas dire "oui", ne rien dire, c'est aussi dire "non". En ce qui me concerne, l'agression est arrivée par surprise, j'ai dit "non" par mes gestes, en le repoussant, mais je n'ai pas eu la possibilité de le dire. Le texte de loi dit bien qu'il faut que le consentement soit clair et explicite. Si on veut embrasser une femme, coucher avec elle, ce n'est quand même pas compliqué de lui demander si elle en a envie. Ce n'est pas une question déshonorante, il faut vraiment la poser pour être sûr que la personne soit dans les conditions optimales. Et si l'on arrive à être dans ce type relation femmes-hommes, en se parlant, on change complètement les choses : le rapport de domination disparaît.

Vous racontez également comment votre mère a été agressée à deux reprises par le patron de votre-grand mère lorsqu'elle était adolescente, et le tabou qui s'en est suivi au sein de votre famille. Est-ce que votre position dans la hiérarchie de EE-LV vous a aidée à parler ?

Ma grand-mère fait partie d'une génération où les violences sexuelles étaient beaucoup plus taboues. Elle était dans une situation de dépendance économique complète, c'était très compliqué pour elle de faire autrement. Certes, j'étais à un rang hiérarchique assez élevé dans le parti, mais Denis Baupin et moi-même n'étions pas dans une égalité de traitement, je n'avais pas le même poids que lui au sein de EE-LV. Il est vrai que le fait de ne pas être dans une situation de dépendance économique à ce moment-là a peut-être facilité les choses pour moi, c'est possible. Sans doute que cela fait aussi partie des raisons pour lesquelles je ressens une forme de responsabilité vis-à-vis d'autres femmes plus en difficulté car leur situation économique en dépend. Les violences sexuelles sont, d'après moi, l'aboutissement d'une série de dominations ancrées dès le plus jeune âge. Cela peut prendre des formes anodines comme le fait de couper la parole aux femmes quand elles parlent, de les rendre invisibles, de se moquer de leur consentement... Il y a un continuum entre la cour de récréation où le terrain de foot des garçons prend les quatre cinquièmes de l'espace, et ne laisse plus qu'un cinquième pour les activités des filles et les violences faites aux femmes dans l'espace public. La domination est une multitude de petits facteurs, et j'ai longtemps pensé qu'il fallait le prendre par les petites choses, alors qu'en réalité il faut prendre les choses dans leur globalité.

Vous avez récemment quitté vos fonctions de secrétaire adjointe nationale pour vous consacrer à la lutte contre les violences faites aux femmes, pourquoi ce choix, et quelle forme cela va prendre ?

Enormément de femmes se sont tournées vers nous après l'affaire, et quelque chose de très profond s'est créé en moi. Seulement 1% des agresseurs et des violeurs sont condamnés à ce jour, 99 % d'entre eux sont dans la nature. Les femmes violées, elles, restent toute leur vie avec leur viol. Un sentiment d'urgence est apparu, j'avais été confrontée à une réalité, et je ne pouvais plus l'ignorer. Notre association n'a pas vocation à fournir un accompagnement juridique ou psychologique, mais c'est un mouvement d'entraide, de solidarité. Un lieu où l'on peut parler librement, et où l'on peut aller porter plainte accompagnée, ne plus être seule face à ça. Dans les moments où l'on perd pied face à une agression sexuelle, on se sent réellement comprise par des personnes qui ont vécu la même chose. C'est une association précieuse, et qui manquait. Bien sûr, d'autres associations font un travail remarquable comme le Collectif contre le viol, le Planning familial ou l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Quand on commence à parler, on est surtout confrontés à des professionnels (des avocats, des policiers, des médecins...), c'est nécessaire et nous orienterons les femmes du mieux que nous le pouvons dans ces démarches, mais une fois que l'on sort de ces bureaux, on se retrouve toute seule face à ça. Le réseau de soutien que nous nous sommes créé pendant l'affaire avec Annie Lahmer, Elen Debost, et Isabelle Attard (les autres femmes qui ont témoigné à visage découvert) a été profondément important. Notre but est d'apporter un peu de chaleur collective.

Propos recueillis par Fanny Marlier

Parler, de Sandrine Rousseau, Ed. Flammarion, paru le 27 septembre 2017.

Let's block ads! (Why?)



Bagikan Berita Ini

Related Posts :

0 Response to "Sandrine Rousseau: “Christine Angot et moi, nous sommes apparues toutes deux fragilisées”"

Post a Comment

Powered by Blogger.