Search

“La Villa” : Robert Guédiguian intensément mélancolique

La Villa, de Robert Guédiguian

La Villa, de Robert Guédiguian

AGAT FILMS & CIE / France 3 CINEMA

A Marseille, les retrouvailles d’une fratrie dont les idéaux ont été éprouvés par la vie… Un film salutaire et teinté d’espoir.

C’est un coin de village qui donne sur la mer, surplombé par une villa et, plus haut, un auguste viaduc où passent des trains. On pourrait croire à une toile cubiste. Un patriarche, qui contemple la vue ­depuis son balcon en grillant une ­cigarette qu’il sait peut-être fatale, est soudain frappé par une attaque. Il ne meurt pas mais tombe dans une léthargie qui lui fait perdre son autonomie. L’imminence de sa mort suscite les ­retrouvailles de ses trois enfants, Armand (Gérard Meylan), Joseph (Jean-Pierre Darroussin) et Angèle (Ariane Ascaride), autant dire le rappel de la troupe de Robert Guédiguian. Le premier tient le modeste restaurant du port mais songe à mettre la clé sous la porte car le village se vide. Joseph est un cadre qui a été licencié : un beau parleur amer multipliant les saillies sardoniques. Enfin, la petite sœur. Elle est comédienne, habite Paris et revient à contrecœur dans cette région, chargée, pour elle, de funestes souvenirs.

Le soleil est bien noir, ici. C’est une lumière d’hiver, de crépuscule qui règne sur ce théâtre à ciel ouvert. Du Tchekhov méridional, si l’on veut. Où l’on blague encore, mais « au bord du précipice », comme le dit Joseph. Cette noirceur n’est pas nouvelle chez le cinéaste, mais elle ne s’était pas exprimée de manière aussi poignante depuis La ville est tranquille (2000) ou Marie-Jo et ses deux amours (2002). Des trains qui filent vers la calanque déserte, des chemins de contrebandiers envahis de mauvaises herbes, tout paraît dominé par la perte, le deuil de quelqu’un, de quelque chose. La tentation est grande, dès lors, de céder au « c’était mieux avant ». C’est ce que reproche à Joseph sa jeune compagne (Anaïs Demoustier). Etait-ce si bien ­jadis ? On pourrait le croire, lorsque surgit l’extrait d’un des premiers films de Robert Guédiguian, Ki lo sa ? (1985), porté par la cavalcade grisante de Bob Dylan (I want you), où l’on voit les mê­mes personnages dans leur insolente jeunesse. Mais non : à l’époque déjà, Guédiguian parlait du temps perdu, des amours enfuies, de l’utopie gâchée. Le manque est une obsession, indissociable chez lui d’une nostalgie tenace. Une nostalgie au conditionnel : il est moins poursuivi par ce qu’il a vécu que par ce qu’il aurait pu vivre.

Heureusement, il y a le temps qui reste. D’une part, la relève est assurée par la jeunesse, certes regardée avec l’œil d’un « vieux con », mais au fond ­enviée, soutenue, aimée. Guédiguian ­mesure le gouffre qui sépare parfois les générations, leurs différends liés au travail et à l’argent — celui du couple de voisins avec leur fils médecin est bouleversant. D’autre part, l’urgence du présent, à travers la découverte d’enfants réfugiés, tapis dans la nature, vient réveiller ce que peuvent être une conscience, le sens de la solidarité et l’esprit de groupe.

Que faire de ces enfants ? Que faire du resto ? Qui pour s’occuper du vieux père ? Partir ou rester ? Autant de questions qui émergent de ce récit choral, fluide, dont l’action est habilement relancée par plusieurs épisodes dramatiques. Les réponses apportées sont provisoires : une fois n’est pas coutume chez le cinéaste, la fin reste ouverte. Malgré la mélancolie ambiante, des espoirs subsistent : l’amour de l’art et de la poésie (on déclame du Claudel !). L’amour tout court… Et puis il y a la mer, ses dorades et ses poulpes qui nous rappellent que l’antique palpite encore… Tout n’est pas perdu.

Let's block ads! (Why?)

Read Again
La Villa, de Robert Guédiguian

La Villa, de Robert Guédiguian

AGAT FILMS & CIE / France 3 CINEMA

A Marseille, les retrouvailles d’une fratrie dont les idéaux ont été éprouvés par la vie… Un film salutaire et teinté d’espoir.

C’est un coin de village qui donne sur la mer, surplombé par une villa et, plus haut, un auguste viaduc où passent des trains. On pourrait croire à une toile cubiste. Un patriarche, qui contemple la vue ­depuis son balcon en grillant une ­cigarette qu’il sait peut-être fatale, est soudain frappé par une attaque. Il ne meurt pas mais tombe dans une léthargie qui lui fait perdre son autonomie. L’imminence de sa mort suscite les ­retrouvailles de ses trois enfants, Armand (Gérard Meylan), Joseph (Jean-Pierre Darroussin) et Angèle (Ariane Ascaride), autant dire le rappel de la troupe de Robert Guédiguian. Le premier tient le modeste restaurant du port mais songe à mettre la clé sous la porte car le village se vide. Joseph est un cadre qui a été licencié : un beau parleur amer multipliant les saillies sardoniques. Enfin, la petite sœur. Elle est comédienne, habite Paris et revient à contrecœur dans cette région, chargée, pour elle, de funestes souvenirs.

Le soleil est bien noir, ici. C’est une lumière d’hiver, de crépuscule qui règne sur ce théâtre à ciel ouvert. Du Tchekhov méridional, si l’on veut. Où l’on blague encore, mais « au bord du précipice », comme le dit Joseph. Cette noirceur n’est pas nouvelle chez le cinéaste, mais elle ne s’était pas exprimée de manière aussi poignante depuis La ville est tranquille (2000) ou Marie-Jo et ses deux amours (2002). Des trains qui filent vers la calanque déserte, des chemins de contrebandiers envahis de mauvaises herbes, tout paraît dominé par la perte, le deuil de quelqu’un, de quelque chose. La tentation est grande, dès lors, de céder au « c’était mieux avant ». C’est ce que reproche à Joseph sa jeune compagne (Anaïs Demoustier). Etait-ce si bien ­jadis ? On pourrait le croire, lorsque surgit l’extrait d’un des premiers films de Robert Guédiguian, Ki lo sa ? (1985), porté par la cavalcade grisante de Bob Dylan (I want you), où l’on voit les mê­mes personnages dans leur insolente jeunesse. Mais non : à l’époque déjà, Guédiguian parlait du temps perdu, des amours enfuies, de l’utopie gâchée. Le manque est une obsession, indissociable chez lui d’une nostalgie tenace. Une nostalgie au conditionnel : il est moins poursuivi par ce qu’il a vécu que par ce qu’il aurait pu vivre.

Heureusement, il y a le temps qui reste. D’une part, la relève est assurée par la jeunesse, certes regardée avec l’œil d’un « vieux con », mais au fond ­enviée, soutenue, aimée. Guédiguian ­mesure le gouffre qui sépare parfois les générations, leurs différends liés au travail et à l’argent — celui du couple de voisins avec leur fils médecin est bouleversant. D’autre part, l’urgence du présent, à travers la découverte d’enfants réfugiés, tapis dans la nature, vient réveiller ce que peuvent être une conscience, le sens de la solidarité et l’esprit de groupe.

Que faire de ces enfants ? Que faire du resto ? Qui pour s’occuper du vieux père ? Partir ou rester ? Autant de questions qui émergent de ce récit choral, fluide, dont l’action est habilement relancée par plusieurs épisodes dramatiques. Les réponses apportées sont provisoires : une fois n’est pas coutume chez le cinéaste, la fin reste ouverte. Malgré la mélancolie ambiante, des espoirs subsistent : l’amour de l’art et de la poésie (on déclame du Claudel !). L’amour tout court… Et puis il y a la mer, ses dorades et ses poulpes qui nous rappellent que l’antique palpite encore… Tout n’est pas perdu.

Let's block ads! (Why?)



Bagikan Berita Ini

Related Posts :

0 Response to "“La Villa” : Robert Guédiguian intensément mélancolique"

Post a Comment

Powered by Blogger.