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"En guerre", le bluffant Brizé

Candidats du jour à la Palme d'or : Asako de Ryusuke Hamaguchi, BlacKkKlansman de Spike Lee, En Guerre de Stéphane Brizé.

Menu 1 : Asako 1 & 2 de Ryusuke Hamaguchi

Entrée 

Il y a encore un mois, personne en France ne connaissait ce réalisateur japonais de 39 ans. Et pour cause, aucun de ses sept long-métrages n'était sorti ici. Le huitième, Senses, après avoir fait sensation au Festival de Locarno, est arrivé le 2 mai sur les écrans français, puis le 9 et enfin le 16. Trois dates oui, car cette histoire de quatre amies s'étale sur 5h15 et se découpe en plusieurs parties. Son neuvième film, malgré son titre, Asako 1 & 2, ne dure "que" deux heures. Et c'est sa première sélection cannoise. 

Plat 

Asako 1 est assez court. La susnommée, jeune étudiante, tombe raide dingue d'un tout aussi jeune effronté qui le lui rend bien. Un coup de foudre comme il n'en arrive qu'au cinéma, avec baiser immédiat et passion débridée. Sauf que l'autre disparaît sans crier gare. La belle est désespérée. Vingt minutes de film viennent de s'écouler. Fin d'Asako 1. Le reste appartient à Asako 2 qui, deux ans après, travaille dans des bureaux où elle croise le sosie de son amoureux. Elle est persuadée que c'est lui, à cette différence près qu'il a changé de look (il est en costard cravate) et d'attitude (pas du tout rebelle). Doute et écueil heureusement levés quand l'original réapparaît en mannequin vedette, alors qu'Asako vit sa nouvelle histoire d'amour, moins fusionnelle que la première, avec son collègue de travail. 

Tout cela n'est pas désagréable et se suit plutôt bien. Ce serait même parfait si le metteur en scène se regardait un peu moins écrire et diriger, ses afféteries visuelles et scénaristiques gâchant un peu le plaisir. Mais seulement un peu, hein ! 

Dessert 

14/20. Le cinéaste est indubitablement à suivre, mais le film paraît trop anecdotique pour figurer au palmarès. Mais pour peu qu'il privilégie la bonne humeur, le jury peut toujours envisager un Prix du scénario. Ou un Prix d'interprétation -mais là, vu le prestige de la récompense, il faudra que l'humeur soit euphorique. 

Menu 2 : BlacKkKlansman de Spike Lee

Entrée 

La dernière fois que l'américain Spike Lee fut en compétition, c'était en 1991 pour Jungle fever, love story impossible entre un architecte noir et sa secrétaire blanche. Mais la véritable heure de gloire cannoise du cinéaste remonte à 1989, avec Do the right thing, vingt-quatre heures dans la vie d'un quartier de Brooklyn en proie à la chaleur et aux tensions raciales. 

Le film mit le feu à la Croisette, repartit curieusement bredouille, faute de goût du jury qui laissa échapper un long-métrage considéré aujourd'hui comme un classique. Depuis, Spike Lee a multiplié réussites (Summer of Sam, La 25e heure, Inside man) et ratés (She hate me, Miracle à Santa Anna). BlacKkKlansman (sortie le 22 août) appartient aux premières. 

Plat 

L'histoire est folle car authentique, révélée dans un livre publié en 2006, BlacKkKlansman de Ron Stallworth. Celui-ci, premier policier afro-américain de Colorado Springs (Colorado, Etats-Unis), a infiltré le Ku Klux Klan (KKK) en 1978 ! Mais si. Il voit une annonce de l'organisation suprémaciste blanche dans le journal et appelle pour avoir des renseignements, se faisant passer pour un bon raciste soucieux de préserver la race blanche. Il est si convaincant qu'il est mis en relation avec le big boss, David Duke, qui tombe dans le panneau. Invité à participer aux réunions -et même appelé à diriger une faction, il envoie à sa place un collègue policier, Flip Zimmerman, effectivement blanc, mais juif -ce qui ne manque pas d'ajouter du sel à la supercherie. Un sujet en or et plein de mordant, tournant en ridicule les zinzins extrémistes cagoulés. Spike Lee s'en donne à coeur joie, un peu trop d'ailleurs car traitant systématiquement l'ennemi comme un crétin -ce qui est hélas ! et souvent loin d'être le cas (comme l'avait démontré plus finement Costa Gavras dans La Main droite du diable). Péché véniel qu'on pardonne volontiers, car la tentation de se moquer et de vomir ces salopards est trop forte. Alors on se régale de cette comédie vitriolée qui met en avant, au passage, quelques jalons tristement édifiants, comme l'influence avérée de Naissance d'une nation de David W. Griffith sur la relance du KKK en 1915, ou les émeutes de Charlottesville l'an dernier dont les images closent le film afin de rappeler que tout cela n'est pas que du cinéma. 

Dessert 

17/20. Estomaqué par l'histoire, le jury pourrait lui remettre le Prix du scénario. S'il y avait une récompense pour la musique, Terence Blanchard, qui avait déjà composé l'excellente bande originale d'Inside man, l'aurait direct -ceci à l'attention de Cannes Soundtrack, événement totalement externe au palmarès officiel dont un jury composé de vingt-huit journalistes vote pour la meilleure b.o. du Festival. 

Menu 3 : En guerre de Stéphane Brizé

Entrée 

Bienheureux qui, en 1999, aurait prédit que le réalisateur du moyen Bleu des villes deviendrait un des meilleurs cinéastes français. Après un joli succès populaire en 2005, Je ne suis pas là pour être aimé, Stéphane Brizé trouve son style, à base d'épure et d'émotions ancrées dans un réalité observée avec minutie, avec Mademoiselle Chambon en 2009. Le film marque sa rencontre avec Vincent Lindon, qui le suivra pour Quelques heures de printemps en 2012, puis pour La Loi du marché en 2015, consécration de l'acteur qui reçoit le Prix d'interprétation à Cannes et (enfin) le césar. En guerre marque donc leur quatrième collaboration (en salles aujourd'hui). Pour le meilleur et pour le meilleur. 

Plat 

Perrin Industrie, 1100 salariés, filiale d'un groupe allemand, va fermer. L'entreprise dégage des bénéfices, les employés ont accepté de réduire leurs salaires, mais la décision semble irrévocable.Délocalisation, impératifs boursiers, réconfort des actionnaires. Des arguments que les laissés pour compte ne peuvent évidemment pas entendre. Alors c'est la grève. Dure. Longue. Une guerre des nerfs jalonnée par des négociations, des conflits internes... Jusqu'à l'affrontement, inéluctable. 

A force de résumés dans les journaux télévisés, on a l'impression de connaître l'histoire. Idée fausse.Les médias, pressés par l'immédiateté, ne font que la survoler et arrivent toujours après la bataille. Et ce, malgré le récit de situations extrêmes illustrées par des images violentes -tout le monde se souvient de la chemise arrachée du directeur des ressources humaines d'Air France... Mais avant ?Comment en arrive-t-on là ? Et pour aller où ? Stéphane Brizé raconte tout en disséquant. Sans caricaturer. Sans pointer personne du doigt. Juste accuser un état de fait, constater un drame humain. Et avec le talent inouï de faire du cinéma avec la réalité sans jamais trahir celle-ci. Il avait déjà réussi son coup avec La Loi du marché. Il transcende l'exercice avec En guerre,où chacun joue son propre rôle (syndiqués, directeur d'entreprise, etc.) selon un scénario très écrit. Et puis, au milieu de ces "vraies gens", ily a Vincent Lindon en leader en colère. A la fois incroyable et crédible, comme toujours. Plus que d'habitude, même. Au point de laisser échapper, pour la première fois de sa carrière, un de ses fameux tics au détour d'une séquence. Comme s'il n'y avait plus de filtre. Comme si c'était vrai. Bluffant et édifiant.  

Dessert 

20/20. Un Prix de la mise en scène est tout à fait possible (et justifié). Un Prix d'interprétation aussi, mais là, ce serait un doublé historique -avec Jack Lemmon (pour Le Syndrome chinois en 1979 et Missing en 1980), Lindon serait le seul comédien à recevoir deux fois la récompense. On n'est pas contre. 

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Candidats du jour à la Palme d'or : Asako de Ryusuke Hamaguchi, BlacKkKlansman de Spike Lee, En Guerre de Stéphane Brizé.

Menu 1 : Asako 1 & 2 de Ryusuke Hamaguchi

Entrée 

Il y a encore un mois, personne en France ne connaissait ce réalisateur japonais de 39 ans. Et pour cause, aucun de ses sept long-métrages n'était sorti ici. Le huitième, Senses, après avoir fait sensation au Festival de Locarno, est arrivé le 2 mai sur les écrans français, puis le 9 et enfin le 16. Trois dates oui, car cette histoire de quatre amies s'étale sur 5h15 et se découpe en plusieurs parties. Son neuvième film, malgré son titre, Asako 1 & 2, ne dure "que" deux heures. Et c'est sa première sélection cannoise. 

Plat 

Asako 1 est assez court. La susnommée, jeune étudiante, tombe raide dingue d'un tout aussi jeune effronté qui le lui rend bien. Un coup de foudre comme il n'en arrive qu'au cinéma, avec baiser immédiat et passion débridée. Sauf que l'autre disparaît sans crier gare. La belle est désespérée. Vingt minutes de film viennent de s'écouler. Fin d'Asako 1. Le reste appartient à Asako 2 qui, deux ans après, travaille dans des bureaux où elle croise le sosie de son amoureux. Elle est persuadée que c'est lui, à cette différence près qu'il a changé de look (il est en costard cravate) et d'attitude (pas du tout rebelle). Doute et écueil heureusement levés quand l'original réapparaît en mannequin vedette, alors qu'Asako vit sa nouvelle histoire d'amour, moins fusionnelle que la première, avec son collègue de travail. 

Tout cela n'est pas désagréable et se suit plutôt bien. Ce serait même parfait si le metteur en scène se regardait un peu moins écrire et diriger, ses afféteries visuelles et scénaristiques gâchant un peu le plaisir. Mais seulement un peu, hein ! 

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14/20. Le cinéaste est indubitablement à suivre, mais le film paraît trop anecdotique pour figurer au palmarès. Mais pour peu qu'il privilégie la bonne humeur, le jury peut toujours envisager un Prix du scénario. Ou un Prix d'interprétation -mais là, vu le prestige de la récompense, il faudra que l'humeur soit euphorique. 

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La dernière fois que l'américain Spike Lee fut en compétition, c'était en 1991 pour Jungle fever, love story impossible entre un architecte noir et sa secrétaire blanche. Mais la véritable heure de gloire cannoise du cinéaste remonte à 1989, avec Do the right thing, vingt-quatre heures dans la vie d'un quartier de Brooklyn en proie à la chaleur et aux tensions raciales. 

Le film mit le feu à la Croisette, repartit curieusement bredouille, faute de goût du jury qui laissa échapper un long-métrage considéré aujourd'hui comme un classique. Depuis, Spike Lee a multiplié réussites (Summer of Sam, La 25e heure, Inside man) et ratés (She hate me, Miracle à Santa Anna). BlacKkKlansman (sortie le 22 août) appartient aux premières. 

Plat 

L'histoire est folle car authentique, révélée dans un livre publié en 2006, BlacKkKlansman de Ron Stallworth. Celui-ci, premier policier afro-américain de Colorado Springs (Colorado, Etats-Unis), a infiltré le Ku Klux Klan (KKK) en 1978 ! Mais si. Il voit une annonce de l'organisation suprémaciste blanche dans le journal et appelle pour avoir des renseignements, se faisant passer pour un bon raciste soucieux de préserver la race blanche. Il est si convaincant qu'il est mis en relation avec le big boss, David Duke, qui tombe dans le panneau. Invité à participer aux réunions -et même appelé à diriger une faction, il envoie à sa place un collègue policier, Flip Zimmerman, effectivement blanc, mais juif -ce qui ne manque pas d'ajouter du sel à la supercherie. Un sujet en or et plein de mordant, tournant en ridicule les zinzins extrémistes cagoulés. Spike Lee s'en donne à coeur joie, un peu trop d'ailleurs car traitant systématiquement l'ennemi comme un crétin -ce qui est hélas ! et souvent loin d'être le cas (comme l'avait démontré plus finement Costa Gavras dans La Main droite du diable). Péché véniel qu'on pardonne volontiers, car la tentation de se moquer et de vomir ces salopards est trop forte. Alors on se régale de cette comédie vitriolée qui met en avant, au passage, quelques jalons tristement édifiants, comme l'influence avérée de Naissance d'une nation de David W. Griffith sur la relance du KKK en 1915, ou les émeutes de Charlottesville l'an dernier dont les images closent le film afin de rappeler que tout cela n'est pas que du cinéma. 

Dessert 

17/20. Estomaqué par l'histoire, le jury pourrait lui remettre le Prix du scénario. S'il y avait une récompense pour la musique, Terence Blanchard, qui avait déjà composé l'excellente bande originale d'Inside man, l'aurait direct -ceci à l'attention de Cannes Soundtrack, événement totalement externe au palmarès officiel dont un jury composé de vingt-huit journalistes vote pour la meilleure b.o. du Festival. 

Menu 3 : En guerre de Stéphane Brizé

Entrée 

Bienheureux qui, en 1999, aurait prédit que le réalisateur du moyen Bleu des villes deviendrait un des meilleurs cinéastes français. Après un joli succès populaire en 2005, Je ne suis pas là pour être aimé, Stéphane Brizé trouve son style, à base d'épure et d'émotions ancrées dans un réalité observée avec minutie, avec Mademoiselle Chambon en 2009. Le film marque sa rencontre avec Vincent Lindon, qui le suivra pour Quelques heures de printemps en 2012, puis pour La Loi du marché en 2015, consécration de l'acteur qui reçoit le Prix d'interprétation à Cannes et (enfin) le césar. En guerre marque donc leur quatrième collaboration (en salles aujourd'hui). Pour le meilleur et pour le meilleur. 

Plat 

Perrin Industrie, 1100 salariés, filiale d'un groupe allemand, va fermer. L'entreprise dégage des bénéfices, les employés ont accepté de réduire leurs salaires, mais la décision semble irrévocable.Délocalisation, impératifs boursiers, réconfort des actionnaires. Des arguments que les laissés pour compte ne peuvent évidemment pas entendre. Alors c'est la grève. Dure. Longue. Une guerre des nerfs jalonnée par des négociations, des conflits internes... Jusqu'à l'affrontement, inéluctable. 

A force de résumés dans les journaux télévisés, on a l'impression de connaître l'histoire. Idée fausse.Les médias, pressés par l'immédiateté, ne font que la survoler et arrivent toujours après la bataille. Et ce, malgré le récit de situations extrêmes illustrées par des images violentes -tout le monde se souvient de la chemise arrachée du directeur des ressources humaines d'Air France... Mais avant ?Comment en arrive-t-on là ? Et pour aller où ? Stéphane Brizé raconte tout en disséquant. Sans caricaturer. Sans pointer personne du doigt. Juste accuser un état de fait, constater un drame humain. Et avec le talent inouï de faire du cinéma avec la réalité sans jamais trahir celle-ci. Il avait déjà réussi son coup avec La Loi du marché. Il transcende l'exercice avec En guerre,où chacun joue son propre rôle (syndiqués, directeur d'entreprise, etc.) selon un scénario très écrit. Et puis, au milieu de ces "vraies gens", ily a Vincent Lindon en leader en colère. A la fois incroyable et crédible, comme toujours. Plus que d'habitude, même. Au point de laisser échapper, pour la première fois de sa carrière, un de ses fameux tics au détour d'une séquence. Comme s'il n'y avait plus de filtre. Comme si c'était vrai. Bluffant et édifiant.  

Dessert 

20/20. Un Prix de la mise en scène est tout à fait possible (et justifié). Un Prix d'interprétation aussi, mais là, ce serait un doublé historique -avec Jack Lemmon (pour Le Syndrome chinois en 1979 et Missing en 1980), Lindon serait le seul comédien à recevoir deux fois la récompense. On n'est pas contre. 

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