
VIOLENCES FAITES AUX FEMMES - La prise de parole puissante et bouleversante d’Adèle Haenel marquera certainement un tournant dans la manière dont les violences faites aux femmes sont perçues dans le cinéma français, mais aussi, plus généralement, dans notre société.
Après avoir accusé le réalisateur français Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel dans une enquête qui a pris sept mois à Mediapart, l’actrice de “Portrait de la jeune fille en feu”, réalisé par Céline Sciamma, s’est également exprimée avec force et résilience en direct sur Mediapart lundi 4 novembre au soir.
Entre dénonciation de la culture du viol, des stratégies de l’agresseur, de la banalisation des violences et expression d’une incroyable sororité, Adèle Haenel, 30 ans, est aussi allée plus avant dans les raisons qui l’ont poussée à dénoncer ces faits datant de plus de quinze ans. Parmi celles-ci, le documentaire “Leaving Neverland”, dans lequel deux hommes accusent Michael Jackson d’abus sexuels.
Elle n’est malheureusement pas la première à avoir été bouleversée par ces témoignages sur le chanteur, comme le rapportaient en mars dernier nos confrères du HuffPost américain, rapportant l’émotion d’une écrivaine et survivante d’agressions sexuelles.
Selon Silva Neves, psychothérapeute spécialisé dans l’aide aux victimes de traumatismes sexuels interrogées par le HuffPost, de nombreux survivants ont pu être bouleversés en regardant le documentaire, en se retrouvant dans ces témoignages et en revivant leur propre expérience.
Prise de conscience de certains mécanismes
“Il y a tellement de détails auxquels les gens s’identifient dans ce que disent Robson et Safechuck, comme le fait que l’agresseur fasse croire à sa victime qu’elle est spéciale et qu’il l’aime, que les agressions sont une façon de lui manifester son amour et que s’il en parle à qui que ce soit, cela aura de graves conséquences”, indique-t-il.
Auprès de Mediapart, Adèle Haenel confie à ce sujet que Christophe Ruggia, désormais exclu de la Société des réalisateurs de films (SRF), qualifiait d’ailleurs à l’époque les faits d’une “histoire d’amour”. C’est en visionnant “Leaving Nerveland” qu’elle a vu “des mécanismes d’emprise et de fascination qui ont été complètement à l’œuvre aussi dans mon histoire”.
Suite à la découverte de documentaire, l’actrice révélée par “La naissance des pieuvres” fait des recherches sur le réalisateur des “Diables” et se rend compte que celui qu’elle accuse tourne un film avec deux adolescents. Elle comprend alors qu’il faut agir.
Visionner “Leaving Neverland” est éprouvant pour n’importe qui et encore plus pour les victimes. C’est pourquoi une cellule d’aide psychologique était apparemment prévue pour les spectateurs à l’avant-première du film, lors du Festival de Sundance, aux États-Unis, en janvier.
Catharsis ou nouveau traumatisme
Selon l’évolution de votre processus de guérison, voir ce documentaire n’est pas forcément recommandé. Robert Cox, thérapeute spécialiste des traumatismes sexuels (qui exerce à Richmond, dans l’État du Missouri), dit avoir déconseillé à certains de ses patients de le regarder. Même si certains survivants peuvent trouver cathartique et semblable à une thérapie de groupe le fait de revivre leur expérience au travers des témoignages de James Safechuck et Wade Robson, les deux hommes accusant Michael Jackson, d’autres risquent d’en être perturbés.
“Revivre une expérience traumatisante en thérapie est souvent vécu comme un nouveau traumatisme, explique-t-il. Cela peut plonger le patient dans un état dissociatif et le traumatiser à nouveau. Tout doit donc se faire au cas par cas.”
James Safechuck et Wade Robson, âgés respectivement de 10 et 7 ans au moment des faits présumés, ont mis du temps à en parler à leur famille. Plus tard, ils ont tous les deux rejeté l’idée de suivre une thérapie, et Wade Robson a caché la nature sexuelle de sa relation avec Michael Jackson quand il s’est finalement résolu à consulter un professionnel.
“Certains survivants se disent: ‘Si cela n’a aucun sens pour moi, comment puis-je en parler à quelqu’un d’autre?’ ajoute le spécialiste. James et Wade admettent tous les deux qu’il leur était plus facile de ne rien dire parce qu’eux-mêmes ne parvenaient pas à comprendre ce qui s’était passé.”
Il est très courant chez les survivants d’agressions sexuelles de ne pas pouvoir faire de récit cohérent de ce qui leur est arrivé, de souffrir de trous de mémoire ou de douter de certains événements. Mais ce n’est pas rédhibitoire, insiste Silva Neves: cela ne vous empêche pas de consulter un thérapeute, qui pourra même vous aider à trouver les mots pour en parler.
Honte, culpabilité, pardon
Dans une interview, James Safechuck évoque la culpabilité qu’il éprouve à l’idée d’avoir raconté son histoire et dénoncé Michael Jackson qui, les agressions mises à part, était devenu pour lui comme un père de substitution. “Je me suis senti coupable ce week-end, comme si je l’avais laissé tomber. Cette ombre, ce sentiment de culpabilité ne me quittent pas.”
Au-delà de la culpabilité, Adèle Haenel évoque, elle, la honte, celle qui “isole”. Et insiste ainsi sur l’importance de parler. “La prise de parole nous met en commun, ça fait de nous un peuple. C’est important de constituer ce peuple militant, actif qui contribue à la société.
Pour certaines victimes se pose aussi la question du pardon. Vers la fin de “Leaving Nerverland”, on demande à James Safechuck s’il a pardonné à sa mère d’avoir laissé les agressions présumées se produire. Il admet qu’il n’y est pas encore parvenu, ce qu’il a aussi exprimé de façon poignante sur le plateau d’Oprah Winfrey. “Le pardon, ce n’est pas une ligne qu’on franchit, c’est un chemin qu’on emprunte”, a-t-il déclaré.
Cette vision nuancée du pardon rappelle que travailler sur son traumatisme émotionnel n’implique pas nécessairement d’absoudre ceux qui en sont responsables, assure Silva Neves. “Pardonner est considéré comme la meilleure chose à faire, et parfois la plus noble, observe le spécialiste. En fait, les survivants d’agressions sexuelles n’ont pas besoin, pour guérir, de pardonner à leur agresseur ou à ceux qui ont fermé les yeux sur ces agressions. Même sans cela, il leur est possible d’atteindre une guérison complète.”
Il est important de le préciser, sachant que certains survivants hésitent à entamer une thérapie parce qu’ils ont peur d’être poussés par leur thérapeute à pardonner trop vite. Silva Neves assure que cette crainte est infondée.
Quoi qu’il en soit, il est également nécessaire de rappeler que chaque victime va à son propre rythme, parle ou pas, entame une thérapie ou pas.
Plus de 15 ans après les faits, Adèle Haenel a, elle, choisi de briser le silence, qu’elle qualifie de “meilleure façon de maintenir en place un ordre lié à l’oppression. Les gens qui n’ont pas accès à la parole sont les opprimés. C’est pour ça que c’est crucial de parler”.
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VIOLENCES FAITES AUX FEMMES - La prise de parole puissante et bouleversante d’Adèle Haenel marquera certainement un tournant dans la manière dont les violences faites aux femmes sont perçues dans le cinéma français, mais aussi, plus généralement, dans notre société.
Après avoir accusé le réalisateur français Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel dans une enquête qui a pris sept mois à Mediapart, l’actrice de “Portrait de la jeune fille en feu”, réalisé par Céline Sciamma, s’est également exprimée avec force et résilience en direct sur Mediapart lundi 4 novembre au soir.
Entre dénonciation de la culture du viol, des stratégies de l’agresseur, de la banalisation des violences et expression d’une incroyable sororité, Adèle Haenel, 30 ans, est aussi allée plus avant dans les raisons qui l’ont poussée à dénoncer ces faits datant de plus de quinze ans. Parmi celles-ci, le documentaire “Leaving Neverland”, dans lequel deux hommes accusent Michael Jackson d’abus sexuels.
Elle n’est malheureusement pas la première à avoir été bouleversée par ces témoignages sur le chanteur, comme le rapportaient en mars dernier nos confrères du HuffPost américain, rapportant l’émotion d’une écrivaine et survivante d’agressions sexuelles.
Selon Silva Neves, psychothérapeute spécialisé dans l’aide aux victimes de traumatismes sexuels interrogées par le HuffPost, de nombreux survivants ont pu être bouleversés en regardant le documentaire, en se retrouvant dans ces témoignages et en revivant leur propre expérience.
Prise de conscience de certains mécanismes
“Il y a tellement de détails auxquels les gens s’identifient dans ce que disent Robson et Safechuck, comme le fait que l’agresseur fasse croire à sa victime qu’elle est spéciale et qu’il l’aime, que les agressions sont une façon de lui manifester son amour et que s’il en parle à qui que ce soit, cela aura de graves conséquences”, indique-t-il.
Auprès de Mediapart, Adèle Haenel confie à ce sujet que Christophe Ruggia, désormais exclu de la Société des réalisateurs de films (SRF), qualifiait d’ailleurs à l’époque les faits d’une “histoire d’amour”. C’est en visionnant “Leaving Nerveland” qu’elle a vu “des mécanismes d’emprise et de fascination qui ont été complètement à l’œuvre aussi dans mon histoire”.
Suite à la découverte de documentaire, l’actrice révélée par “La naissance des pieuvres” fait des recherches sur le réalisateur des “Diables” et se rend compte que celui qu’elle accuse tourne un film avec deux adolescents. Elle comprend alors qu’il faut agir.
Visionner “Leaving Neverland” est éprouvant pour n’importe qui et encore plus pour les victimes. C’est pourquoi une cellule d’aide psychologique était apparemment prévue pour les spectateurs à l’avant-première du film, lors du Festival de Sundance, aux États-Unis, en janvier.
Catharsis ou nouveau traumatisme
Selon l’évolution de votre processus de guérison, voir ce documentaire n’est pas forcément recommandé. Robert Cox, thérapeute spécialiste des traumatismes sexuels (qui exerce à Richmond, dans l’État du Missouri), dit avoir déconseillé à certains de ses patients de le regarder. Même si certains survivants peuvent trouver cathartique et semblable à une thérapie de groupe le fait de revivre leur expérience au travers des témoignages de James Safechuck et Wade Robson, les deux hommes accusant Michael Jackson, d’autres risquent d’en être perturbés.
“Revivre une expérience traumatisante en thérapie est souvent vécu comme un nouveau traumatisme, explique-t-il. Cela peut plonger le patient dans un état dissociatif et le traumatiser à nouveau. Tout doit donc se faire au cas par cas.”
James Safechuck et Wade Robson, âgés respectivement de 10 et 7 ans au moment des faits présumés, ont mis du temps à en parler à leur famille. Plus tard, ils ont tous les deux rejeté l’idée de suivre une thérapie, et Wade Robson a caché la nature sexuelle de sa relation avec Michael Jackson quand il s’est finalement résolu à consulter un professionnel.
“Certains survivants se disent: ‘Si cela n’a aucun sens pour moi, comment puis-je en parler à quelqu’un d’autre?’ ajoute le spécialiste. James et Wade admettent tous les deux qu’il leur était plus facile de ne rien dire parce qu’eux-mêmes ne parvenaient pas à comprendre ce qui s’était passé.”
Il est très courant chez les survivants d’agressions sexuelles de ne pas pouvoir faire de récit cohérent de ce qui leur est arrivé, de souffrir de trous de mémoire ou de douter de certains événements. Mais ce n’est pas rédhibitoire, insiste Silva Neves: cela ne vous empêche pas de consulter un thérapeute, qui pourra même vous aider à trouver les mots pour en parler.
Honte, culpabilité, pardon
Dans une interview, James Safechuck évoque la culpabilité qu’il éprouve à l’idée d’avoir raconté son histoire et dénoncé Michael Jackson qui, les agressions mises à part, était devenu pour lui comme un père de substitution. “Je me suis senti coupable ce week-end, comme si je l’avais laissé tomber. Cette ombre, ce sentiment de culpabilité ne me quittent pas.”
Au-delà de la culpabilité, Adèle Haenel évoque, elle, la honte, celle qui “isole”. Et insiste ainsi sur l’importance de parler. “La prise de parole nous met en commun, ça fait de nous un peuple. C’est important de constituer ce peuple militant, actif qui contribue à la société.
Pour certaines victimes se pose aussi la question du pardon. Vers la fin de “Leaving Nerverland”, on demande à James Safechuck s’il a pardonné à sa mère d’avoir laissé les agressions présumées se produire. Il admet qu’il n’y est pas encore parvenu, ce qu’il a aussi exprimé de façon poignante sur le plateau d’Oprah Winfrey. “Le pardon, ce n’est pas une ligne qu’on franchit, c’est un chemin qu’on emprunte”, a-t-il déclaré.
Cette vision nuancée du pardon rappelle que travailler sur son traumatisme émotionnel n’implique pas nécessairement d’absoudre ceux qui en sont responsables, assure Silva Neves. “Pardonner est considéré comme la meilleure chose à faire, et parfois la plus noble, observe le spécialiste. En fait, les survivants d’agressions sexuelles n’ont pas besoin, pour guérir, de pardonner à leur agresseur ou à ceux qui ont fermé les yeux sur ces agressions. Même sans cela, il leur est possible d’atteindre une guérison complète.”
Il est important de le préciser, sachant que certains survivants hésitent à entamer une thérapie parce qu’ils ont peur d’être poussés par leur thérapeute à pardonner trop vite. Silva Neves assure que cette crainte est infondée.
Quoi qu’il en soit, il est également nécessaire de rappeler que chaque victime va à son propre rythme, parle ou pas, entame une thérapie ou pas.
Plus de 15 ans après les faits, Adèle Haenel a, elle, choisi de briser le silence, qu’elle qualifie de “meilleure façon de maintenir en place un ordre lié à l’oppression. Les gens qui n’ont pas accès à la parole sont les opprimés. C’est pour ça que c’est crucial de parler”.
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