
Le petit pianiste qui débuta au cabaret Milord l’Arsouille, le chanteur timide, engoncé dans sa veste étriquée, qui galéra sept ans rive gauche, salué par Vian, Marcel Aymé et les fidèles du Vieux-Colombier, s’est permis de camper pendant cinq semaines, à guichets fermés, devant le grand escalier du Casino de Paris, celui qui conduit à la légende des Fréhel, Mistinguett, Tino Rossi, et autres monstres sacrés du music-hall.
Finalement, les nouvelles des étoiles ne sont pas si mauvaises : clochard du showbiz, marginal maudit autant que cynique, le poinçonneur des Lilas aux allures de prolo qui a bossé trois jours sans souffler se vautre désormais sur les fauteuils de Drucker, fait vendre tout ce qu’il touche, rasoirs, cigarettes ou stars, collectionne pour lui-même les disques de platine… et n’agace presque plus personne.
Sa propre caricature
A l’approche de la soixantaine, Gainsbourg se serait-il lassé de la provocation érigée en système ? Aurait-il opté pour l’entre-deux paisible, ni Gainsbarre (car, comme chacun sait « Gainsbourg se barre quand Gainsbarre se bourre ») ni Gainsborough, le peintre anglais de l’harmonie qu’il aurait rêvé d’être ? Pas vraiment. Lemon Incest, son dernier clip, dans lequel il chante à moitié nu sur le lit de sa fille Charlotte, est bien dans la lignée sulfureuse. Si l’organe officiel du Vatican, L’Osservatore romano, ne hurle plus au scandale comme en 1969 lorsque Jane Birkin se pâmait dans Je t’aime moi non plus, seconde version (la première partenaire, Brigitte Bardot, s’était dérobée), si les paras ne veulent plus lui casser la gueule pour crime de lèse-Marseillaise, ce n’est assurément pas de sa faute, encore qu’il sache au besoin retourner sa veste, surtout « si elle est doublée de vison ».
Evolution des mœurs qui banalise tout ce qui choque. Failles dans le personnage, surtout. Il y a quelque chose d’émouvant dans le tremblement de sa main quand il tire sur sa gitane, dans ses épaules qui s’agitent, saccadées et nerveuses, sous la lumière crue des projecteurs, dans ses yeux mi-clos qui semblent ne rien regarder. « On reconnaît Gainsbarre à ses jeans et à sa barbe de trois nuits. » Gainsbourg connaît bien son mythe, joue avec et, finalement, s’y laisse enfermer. Bourré, ou feignant de l’être dès qu’il paraît en public, il est tenu de produire sans cesse sa propre caricature.
Et puisque la dérision, la destruction n’épargnent personne, surtout pas lui-même, il ne chante plus, se contente de laisser traîner sa voix dans le rythme, étouffe la moitié des mots comme si la force, ou l’envie, lui manquait d’en dire plus. Ses textes les plus beaux, les plus travaillés, les plus sensibles, il les réserve désormais à celles qui, en chanson, lui doivent tout : Jane Birkin, Françoise Hardy, Deneuve ou Adjani. Lui, il ne s’autorise que quelques aphorismes, entre le génie et le bidon.
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Le petit pianiste qui débuta au cabaret Milord l’Arsouille, le chanteur timide, engoncé dans sa veste étriquée, qui galéra sept ans rive gauche, salué par Vian, Marcel Aymé et les fidèles du Vieux-Colombier, s’est permis de camper pendant cinq semaines, à guichets fermés, devant le grand escalier du Casino de Paris, celui qui conduit à la légende des Fréhel, Mistinguett, Tino Rossi, et autres monstres sacrés du music-hall.
Finalement, les nouvelles des étoiles ne sont pas si mauvaises : clochard du showbiz, marginal maudit autant que cynique, le poinçonneur des Lilas aux allures de prolo qui a bossé trois jours sans souffler se vautre désormais sur les fauteuils de Drucker, fait vendre tout ce qu’il touche, rasoirs, cigarettes ou stars, collectionne pour lui-même les disques de platine… et n’agace presque plus personne.
Sa propre caricature
A l’approche de la soixantaine, Gainsbourg se serait-il lassé de la provocation érigée en système ? Aurait-il opté pour l’entre-deux paisible, ni Gainsbarre (car, comme chacun sait « Gainsbourg se barre quand Gainsbarre se bourre ») ni Gainsborough, le peintre anglais de l’harmonie qu’il aurait rêvé d’être ? Pas vraiment. Lemon Incest, son dernier clip, dans lequel il chante à moitié nu sur le lit de sa fille Charlotte, est bien dans la lignée sulfureuse. Si l’organe officiel du Vatican, L’Osservatore romano, ne hurle plus au scandale comme en 1969 lorsque Jane Birkin se pâmait dans Je t’aime moi non plus, seconde version (la première partenaire, Brigitte Bardot, s’était dérobée), si les paras ne veulent plus lui casser la gueule pour crime de lèse-Marseillaise, ce n’est assurément pas de sa faute, encore qu’il sache au besoin retourner sa veste, surtout « si elle est doublée de vison ».
Evolution des mœurs qui banalise tout ce qui choque. Failles dans le personnage, surtout. Il y a quelque chose d’émouvant dans le tremblement de sa main quand il tire sur sa gitane, dans ses épaules qui s’agitent, saccadées et nerveuses, sous la lumière crue des projecteurs, dans ses yeux mi-clos qui semblent ne rien regarder. « On reconnaît Gainsbarre à ses jeans et à sa barbe de trois nuits. » Gainsbourg connaît bien son mythe, joue avec et, finalement, s’y laisse enfermer. Bourré, ou feignant de l’être dès qu’il paraît en public, il est tenu de produire sans cesse sa propre caricature.
Et puisque la dérision, la destruction n’épargnent personne, surtout pas lui-même, il ne chante plus, se contente de laisser traîner sa voix dans le rythme, étouffe la moitié des mots comme si la force, ou l’envie, lui manquait d’en dire plus. Ses textes les plus beaux, les plus travaillés, les plus sensibles, il les réserve désormais à celles qui, en chanson, lui doivent tout : Jane Birkin, Françoise Hardy, Deneuve ou Adjani. Lui, il ne s’autorise que quelques aphorismes, entre le génie et le bidon.
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