Search

« Maigret » : Gérard Depardieu au miroir d'un Maigret vieillissant - Le Monde

Gérard Depardieu (à gauche) dans le rôle de Maigret.

Les Russes ont souvent dit que Maigret était un personnage « constructif ». Sans doute faut-il comprendre un héros capable d’élaborer des plans pour désamorcer les situations les plus délicates. Mais depuis qu’un de leurs fervents concitoyens, converti à la religion orthodoxe il y a un peu plus d’un an, a enfilé le pardessus et le chapeau du célèbre commissaire, la formule est à nuancer. Maigret par Depardieu joue davantage la déconstruction. Il est fatigué, a le vague à l’âme, n’a plus d’appétit pour la blanquette de veau ni pour les sardines à l’huile et respire mal. Un stéthoscope sur la poitrine, il comprend qu’il faut arrêter de fumer. À deux doigts de casser sa pipe ? Pas tout à fait quand même.

Une triste affaire va bientôt le sortir de sa torpeur songeuse : une jeune fille est morte dans un square, à Paris. Gisante dans une robe de soirée haute couture Maggy Rouff qui cache des sous-vêtements Prisunic, cette anonyme au visage porcelaine et au buste lardé de coups de couteau semble n’appartenir à aucun monde. Cette absence de traces réveille le goût du vieux flic pour les enquêtes difficiles.

Objet de nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles multidiffusées, c’est avec une forme de méfiance pour le déjà-vu qu’on entre dans le dernier film de Patrice Leconte, qui marque néanmoins sa première collaboration avec Gérard Depardieu. Heureuse nouvelle : l’incarnation minimale de la star, dont le moindre mouvement peut à peine soulever sa propre fonte, bien loin du Mangin vif et brutal de Police (Maurice Pialat, 1985), s’avère cohérente avec la méthode Maigret qui consiste à ne rien faire sinon observer, aspirer la vie tout autour et s’en gonfler comme une éponge. De fait, quoi de mieux qu’un monolithe sensible pour se livrer aux investigations mentales qui se passent de l’attirail du super flic (interrogatoires, doigt sur la gâchette et cascades…) ? « N’en déplaise aux auteurs de romans, le policier est avant tout un professionnel. C’est un fonctionnaire », ironisait Georges Simenon (Les Mémoires de Maigret, 1950).

Classicisme ciselé

Cette adaptation libre de Maigret et la jeune morte (1954) s’intitule Maigret. Sobre ou arrogant, le choix du patronyme révèle en tout cas l’ambition de Leconte de faire un portrait définitif du commissaire, ramassant son sens de l’enquête mais aussi sa part intime et empathique, en époux tranquille et père marqué par la perte de sa fille. Débarrassé de sa pipe, son Maigret se sent « tout nu ». Peut alors émerger un autre portrait, celui de l’acteur vieillissant (réaliser le film testamentaire de Depardieu semble être l’obsession des cinéastes, toute génération confondue depuis un bon moment) qui vient épouser le premier dans une douce communion.

Il vous reste 31.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Adblock test (Why?)

Read Again
Gérard Depardieu (à gauche) dans le rôle de Maigret.

Les Russes ont souvent dit que Maigret était un personnage « constructif ». Sans doute faut-il comprendre un héros capable d’élaborer des plans pour désamorcer les situations les plus délicates. Mais depuis qu’un de leurs fervents concitoyens, converti à la religion orthodoxe il y a un peu plus d’un an, a enfilé le pardessus et le chapeau du célèbre commissaire, la formule est à nuancer. Maigret par Depardieu joue davantage la déconstruction. Il est fatigué, a le vague à l’âme, n’a plus d’appétit pour la blanquette de veau ni pour les sardines à l’huile et respire mal. Un stéthoscope sur la poitrine, il comprend qu’il faut arrêter de fumer. À deux doigts de casser sa pipe ? Pas tout à fait quand même.

Une triste affaire va bientôt le sortir de sa torpeur songeuse : une jeune fille est morte dans un square, à Paris. Gisante dans une robe de soirée haute couture Maggy Rouff qui cache des sous-vêtements Prisunic, cette anonyme au visage porcelaine et au buste lardé de coups de couteau semble n’appartenir à aucun monde. Cette absence de traces réveille le goût du vieux flic pour les enquêtes difficiles.

Objet de nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles multidiffusées, c’est avec une forme de méfiance pour le déjà-vu qu’on entre dans le dernier film de Patrice Leconte, qui marque néanmoins sa première collaboration avec Gérard Depardieu. Heureuse nouvelle : l’incarnation minimale de la star, dont le moindre mouvement peut à peine soulever sa propre fonte, bien loin du Mangin vif et brutal de Police (Maurice Pialat, 1985), s’avère cohérente avec la méthode Maigret qui consiste à ne rien faire sinon observer, aspirer la vie tout autour et s’en gonfler comme une éponge. De fait, quoi de mieux qu’un monolithe sensible pour se livrer aux investigations mentales qui se passent de l’attirail du super flic (interrogatoires, doigt sur la gâchette et cascades…) ? « N’en déplaise aux auteurs de romans, le policier est avant tout un professionnel. C’est un fonctionnaire », ironisait Georges Simenon (Les Mémoires de Maigret, 1950).

Classicisme ciselé

Cette adaptation libre de Maigret et la jeune morte (1954) s’intitule Maigret. Sobre ou arrogant, le choix du patronyme révèle en tout cas l’ambition de Leconte de faire un portrait définitif du commissaire, ramassant son sens de l’enquête mais aussi sa part intime et empathique, en époux tranquille et père marqué par la perte de sa fille. Débarrassé de sa pipe, son Maigret se sent « tout nu ». Peut alors émerger un autre portrait, celui de l’acteur vieillissant (réaliser le film testamentaire de Depardieu semble être l’obsession des cinéastes, toute génération confondue depuis un bon moment) qui vient épouser le premier dans une douce communion.

Il vous reste 31.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Adblock test (Why?)



Bagikan Berita Ini

0 Response to "« Maigret » : Gérard Depardieu au miroir d'un Maigret vieillissant - Le Monde"

Post a Comment

Powered by Blogger.