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« Un autre monde » : quand la machine capitaliste broie ses propres cadres - Le Monde

Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain dans « Un autre monde », de Stéphane Brizé.

Commencée, avec succès, autour d’intrigues sentimentales, la carrière de Stéphane Brizé s’est déportée, ces dernières années, le long d’une ligne sociale dont son nouveau film, Un autre monde, est le troisième opus. Bref rappel des épisodes antérieurs. Dans La Loi du marché (2015), Thierry, quinquagénaire au chômage, famille à nourrir, accepte, après une litanie d’humiliations, un poste de vigile dans un hypermarché. Dans En guerre (2018), un leader syndicaliste d’une usine d’Agen prend la tête de la lutte des ouvriers pour le maintien de leur instrument de travail lorsque la direction annonce sa fermeture irrévocable.

Vincent Lindon, entouré de non-professionnels, est au centre de ces deux films qui portent un regard acéré sur la cruelle et sourde violence des rapports sociaux, mais aussi, bien sûr, sur la déchirure d’un individu poussé par les événements à se désolidariser de son propre milieu.

On ne cherchera pas d’autres raisons à Un autre monde, si ce n’est, désormais flagrante, la rotation socioprofessionnelle que Stéphane Brizé propose d’endosser à son partenaire acteur – qui, on en mettrait notre main au feu, adore ça ! Naguère nervi du patronat, puis cégétiste pur et dur, Vincent Lindon est donc promu patron dans Un autre monde. Ce qu’il fait très bien, parce que tout ce que fait Vincent Lindon au cinéma tient sacrément la route, y compris un pompier culturiste dépressif sous anabolisants (dans le merveilleux Titane, de Julia Ducourneau, récompensé par la Palme d’or à Cannes en 2021). On imagine que c’est cela, le feu sacré. Donc, le patron d’Un autre monde s’appelle Philippe Lemesle, et il est, pour être précis, cadre dirigeant d’une entreprise qui fait partie d’un groupe mondialisé dont le siège se trouve à New York.

Une lutte pied à pied

Et voici que des directives de réduction de personnel, drastiques, tombent pour les sites européens du groupe, pourtant déjà mis en coupe réglée. Des directives telles que leur application rend la charge de travail inhumaine et le fonctionnement de l’entreprise ingérable. Or il se trouve, élément important de l’affaire, que Philippe Lemesle est un patron doté d’une conscience morale. Et qu’on vient de déplacer un cran trop loin le curseur de ce qu’il estime acceptable. Un autre monde est le récit de ce qui survient à compter de ce point de bascule qui voit un cadre supérieur imploser, pris en étau entre les consignes inapplicables d’une direction générale décorrélée du réel et la colère légitime des ouvriers, cela alors même que sa propre dévotion à l’entreprise a fait de sa vie familiale un champ de ruines.

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Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain dans « Un autre monde », de Stéphane Brizé.

Commencée, avec succès, autour d’intrigues sentimentales, la carrière de Stéphane Brizé s’est déportée, ces dernières années, le long d’une ligne sociale dont son nouveau film, Un autre monde, est le troisième opus. Bref rappel des épisodes antérieurs. Dans La Loi du marché (2015), Thierry, quinquagénaire au chômage, famille à nourrir, accepte, après une litanie d’humiliations, un poste de vigile dans un hypermarché. Dans En guerre (2018), un leader syndicaliste d’une usine d’Agen prend la tête de la lutte des ouvriers pour le maintien de leur instrument de travail lorsque la direction annonce sa fermeture irrévocable.

Vincent Lindon, entouré de non-professionnels, est au centre de ces deux films qui portent un regard acéré sur la cruelle et sourde violence des rapports sociaux, mais aussi, bien sûr, sur la déchirure d’un individu poussé par les événements à se désolidariser de son propre milieu.

On ne cherchera pas d’autres raisons à Un autre monde, si ce n’est, désormais flagrante, la rotation socioprofessionnelle que Stéphane Brizé propose d’endosser à son partenaire acteur – qui, on en mettrait notre main au feu, adore ça ! Naguère nervi du patronat, puis cégétiste pur et dur, Vincent Lindon est donc promu patron dans Un autre monde. Ce qu’il fait très bien, parce que tout ce que fait Vincent Lindon au cinéma tient sacrément la route, y compris un pompier culturiste dépressif sous anabolisants (dans le merveilleux Titane, de Julia Ducourneau, récompensé par la Palme d’or à Cannes en 2021). On imagine que c’est cela, le feu sacré. Donc, le patron d’Un autre monde s’appelle Philippe Lemesle, et il est, pour être précis, cadre dirigeant d’une entreprise qui fait partie d’un groupe mondialisé dont le siège se trouve à New York.

Une lutte pied à pied

Et voici que des directives de réduction de personnel, drastiques, tombent pour les sites européens du groupe, pourtant déjà mis en coupe réglée. Des directives telles que leur application rend la charge de travail inhumaine et le fonctionnement de l’entreprise ingérable. Or il se trouve, élément important de l’affaire, que Philippe Lemesle est un patron doté d’une conscience morale. Et qu’on vient de déplacer un cran trop loin le curseur de ce qu’il estime acceptable. Un autre monde est le récit de ce qui survient à compter de ce point de bascule qui voit un cadre supérieur imploser, pris en étau entre les consignes inapplicables d’une direction générale décorrélée du réel et la colère légitime des ouvriers, cela alors même que sa propre dévotion à l’entreprise a fait de sa vie familiale un champ de ruines.

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