Les hommages à Jean-Luc Godard depuis sa mort, mardi 13 septembre, sont aussi nombreux en France qu’à l’étranger, dans le cinéma et en dehors, et l’émotion est à spectre large, allant de l’actrice Brigitte Bardot à la députée (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain. On constate aussi que le flot d’éloges s’appuie souvent sur quelques films à peine, parmi les premiers, dans les années 1960. Les quelque 150 autres existent rarement, sans doute jugés trop hermétiques et fabriqués par un gourou dont les aphorismes suscitaient autant la moquerie que l’admiration. Quant à la descendance esthétique du cinéaste, elle est introuvable.
Alors pourquoi ça chavire autant ? Parce que Godard montre aux artistes, et même au public, qu’on peut créer et vivre autrement. Oui, vivre autrement. Il donne cet espoir. Il ouvre une question plus existentielle qu’esthétique, confirme Leos Carax qui, à 17 ans, découvre Pierrot le fou et se dit que « la vie va donc être possible » (Libération du 13 septembre).
Jean-Paul Belmondo va dans le même sens dans son autobiographie, Mille vies valent mieux qu’une (Fayard, 2016). Alors que les experts en comédie répétaient à l’acteur qu’il était nul, Godard l’engage pour A bout de souffle (1960) pour qu’il soit comme dans la vie. Demandant au cinéaste ce qu’il doit faire quand il entre dans un bar, la réponse fuse : « Ce que tu veux. » Pisser dans un lavabo, par exemple. Et de commenter : « Godard m’accorde une formidable impunité à être moi-même. » Belmondo a fait trois longs-métrages avec le Franco-Suisse, il n’a pas grand-chose en commun avec lui, mais il rêvait d’en faire dix ou vingt. « Pour rien au monde je n’aurais raté une aventure avec lui. » Parce que c’est une aventure, pas un tournage.
Cette aventure, ayant pour corollaire sa part d’imprévu, découle du statut particulier et idéalisé de Godard, que tout créateur veut s’approprier et cite pour se rassurer : celui d’un artiste entre l’idole et l’ermite, qui entend garder le contrôle total sur son œuvre, sur sa vie aussi puisqu’il a choisi sa mort. Personne n’a autant ferraillé à la frontière de l’art et de l’industrie, la jouant serré avec les « professionnels de la profession », pour reprendre une de ses formules, avant de se saborder pour des raisons esthétiques et politiques – un peu comme l’auteur et réalisateur américain Orson Welles.
Période miraculeuse
Ce n’est pas un hasard si la quasi-totalité des films cités en hommage à Godard depuis quatre jours figurent dans ses quinze premiers. Ils constituent une période miraculeuse. Le cinéaste les tourne en huit ans, donc à un rythme phénoménal. Week-end (1967) clôt cette période « classique », si l’on peut dire. Car ces quinze œuvres sont déjà à la frontière du long-métrage traditionnel et de l’objet expérimental (récit, forme). De la salle de cinéma et du musée.
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Read AgainLes hommages à Jean-Luc Godard depuis sa mort, mardi 13 septembre, sont aussi nombreux en France qu’à l’étranger, dans le cinéma et en dehors, et l’émotion est à spectre large, allant de l’actrice Brigitte Bardot à la députée (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain. On constate aussi que le flot d’éloges s’appuie souvent sur quelques films à peine, parmi les premiers, dans les années 1960. Les quelque 150 autres existent rarement, sans doute jugés trop hermétiques et fabriqués par un gourou dont les aphorismes suscitaient autant la moquerie que l’admiration. Quant à la descendance esthétique du cinéaste, elle est introuvable.
Alors pourquoi ça chavire autant ? Parce que Godard montre aux artistes, et même au public, qu’on peut créer et vivre autrement. Oui, vivre autrement. Il donne cet espoir. Il ouvre une question plus existentielle qu’esthétique, confirme Leos Carax qui, à 17 ans, découvre Pierrot le fou et se dit que « la vie va donc être possible » (Libération du 13 septembre).
Jean-Paul Belmondo va dans le même sens dans son autobiographie, Mille vies valent mieux qu’une (Fayard, 2016). Alors que les experts en comédie répétaient à l’acteur qu’il était nul, Godard l’engage pour A bout de souffle (1960) pour qu’il soit comme dans la vie. Demandant au cinéaste ce qu’il doit faire quand il entre dans un bar, la réponse fuse : « Ce que tu veux. » Pisser dans un lavabo, par exemple. Et de commenter : « Godard m’accorde une formidable impunité à être moi-même. » Belmondo a fait trois longs-métrages avec le Franco-Suisse, il n’a pas grand-chose en commun avec lui, mais il rêvait d’en faire dix ou vingt. « Pour rien au monde je n’aurais raté une aventure avec lui. » Parce que c’est une aventure, pas un tournage.
Cette aventure, ayant pour corollaire sa part d’imprévu, découle du statut particulier et idéalisé de Godard, que tout créateur veut s’approprier et cite pour se rassurer : celui d’un artiste entre l’idole et l’ermite, qui entend garder le contrôle total sur son œuvre, sur sa vie aussi puisqu’il a choisi sa mort. Personne n’a autant ferraillé à la frontière de l’art et de l’industrie, la jouant serré avec les « professionnels de la profession », pour reprendre une de ses formules, avant de se saborder pour des raisons esthétiques et politiques – un peu comme l’auteur et réalisateur américain Orson Welles.
Période miraculeuse
Ce n’est pas un hasard si la quasi-totalité des films cités en hommage à Godard depuis quatre jours figurent dans ses quinze premiers. Ils constituent une période miraculeuse. Le cinéaste les tourne en huit ans, donc à un rythme phénoménal. Week-end (1967) clôt cette période « classique », si l’on peut dire. Car ces quinze œuvres sont déjà à la frontière du long-métrage traditionnel et de l’objet expérimental (récit, forme). De la salle de cinéma et du musée.
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