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« Aucun ours » : le bouleversant pied de nez du réalisateur Jafar Panahi aux autorités iraniennes - Le Monde

Zara (Mina Kavani) dans « Aucun ours », de Jafar Panahi.

Le dernier long-métrage de l’Iranien Jafar Panahi, réalisé en liberté conditionnelle, sort au moment où le cinéaste purge, depuis le 11 juillet, une peine de six ans dans la prison d’Evin, à Téhéran. Un grave incendie s’y est déclenché, le 15 octobre, en écho aux troubles et soulèvements que traverse le pays. Recevoir ainsi des nouvelles de l’artiste derrière les barreaux, grâce au contretemps qui définit le rythme du cinéma (opposé en cela au cru de l’actualité), constitue un formidable et bouleversant pied de nez aux autorités, qui, jusqu’au bout, se seront acharnées à le faire taire, sans y parvenir complètement.

Du reste, Aucun ours, récompensé par un Prix spécial du jury à la Mostra de Venise, évoque précisément la condition des artistes persécutés et, en même temps, leur incapacité à faire autre chose que leur métier. Un témoignage de première main, et donc inestimable, mais que le réalisateur délivre à sa façon : retorse, par le biais d’un récit où fiction et réalité jouent au chat et à la souris.

La première scène donne le ton, qui ouvre sur une rue commerçante, avant que les personnages, un couple tourmenté, ne s’adressent directement à la caméra. Il s’agit en fait d’une fausse piste, un film dans le film, que le véritable protagoniste, Jafar Panahi dans son propre rôle, réalise à distance, caché dans un petit village du Kurdistan iranien, frontalier avec la Turquie. Il orchestre les prises par le biais de l’écran de son ordinateur portable, mais la connexion est mauvaise, et le voilà à sortir ou monter sur le toit de son logis pour en trouver une meilleure. Exactement comme le faisait le héros du Vent nous emportera (1999), de son maître Abbas Kiarostami (1940-2016), avec son téléphone portable.

Images incriminées

A ce récit de tournage s’adjoint un petit drame villageois, traité d’abord sur un ton léger, puis de plus en plus grinçant, oppressant. Logé par un homme d’une extrême affabilité, le cinéaste clandestin, toujours muni de son appareil photo, se voit bientôt confronté à la gêne que suscite sa présence sur place (qu’on n’imagine pas sans raisons politiques), par l’intrigue qui se noue autour de sa personne.

Un enfant rapporte en effet l’avoir surpris en train de photographier une future mariée en compagnie d’un garçon autre que son fiancé, et donc en flagrante contravention de la coutume. Exerçant sur le visiteur une pression de plus en plus insistante, la communauté exige de lui qu’il cède sa carte de stockage, où se trouvent les images incriminées. Lui leur oppose un refus : si tant est que ces images existent, que pourraient-elles bien prouver ?

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Zara (Mina Kavani) dans « Aucun ours », de Jafar Panahi.

Le dernier long-métrage de l’Iranien Jafar Panahi, réalisé en liberté conditionnelle, sort au moment où le cinéaste purge, depuis le 11 juillet, une peine de six ans dans la prison d’Evin, à Téhéran. Un grave incendie s’y est déclenché, le 15 octobre, en écho aux troubles et soulèvements que traverse le pays. Recevoir ainsi des nouvelles de l’artiste derrière les barreaux, grâce au contretemps qui définit le rythme du cinéma (opposé en cela au cru de l’actualité), constitue un formidable et bouleversant pied de nez aux autorités, qui, jusqu’au bout, se seront acharnées à le faire taire, sans y parvenir complètement.

Du reste, Aucun ours, récompensé par un Prix spécial du jury à la Mostra de Venise, évoque précisément la condition des artistes persécutés et, en même temps, leur incapacité à faire autre chose que leur métier. Un témoignage de première main, et donc inestimable, mais que le réalisateur délivre à sa façon : retorse, par le biais d’un récit où fiction et réalité jouent au chat et à la souris.

La première scène donne le ton, qui ouvre sur une rue commerçante, avant que les personnages, un couple tourmenté, ne s’adressent directement à la caméra. Il s’agit en fait d’une fausse piste, un film dans le film, que le véritable protagoniste, Jafar Panahi dans son propre rôle, réalise à distance, caché dans un petit village du Kurdistan iranien, frontalier avec la Turquie. Il orchestre les prises par le biais de l’écran de son ordinateur portable, mais la connexion est mauvaise, et le voilà à sortir ou monter sur le toit de son logis pour en trouver une meilleure. Exactement comme le faisait le héros du Vent nous emportera (1999), de son maître Abbas Kiarostami (1940-2016), avec son téléphone portable.

Images incriminées

A ce récit de tournage s’adjoint un petit drame villageois, traité d’abord sur un ton léger, puis de plus en plus grinçant, oppressant. Logé par un homme d’une extrême affabilité, le cinéaste clandestin, toujours muni de son appareil photo, se voit bientôt confronté à la gêne que suscite sa présence sur place (qu’on n’imagine pas sans raisons politiques), par l’intrigue qui se noue autour de sa personne.

Un enfant rapporte en effet l’avoir surpris en train de photographier une future mariée en compagnie d’un garçon autre que son fiancé, et donc en flagrante contravention de la coutume. Exerçant sur le visiteur une pression de plus en plus insistante, la communauté exige de lui qu’il cède sa carte de stockage, où se trouvent les images incriminées. Lui leur oppose un refus : si tant est que ces images existent, que pourraient-elles bien prouver ?

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