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« Eternal Daughter » : l'hypnotique double jeu de Tilda Swinton - Le Monde

Rosalind (Tilda Swinton) dans « Eternal Daughter », de Joanna Hogg.

Il y a un an, les spectateurs découvraient le cinéma de Joanna Hogg comme on ouvre un album, avec l’intimiste The Souvenir. Part I & Part II (2022). Dans ce diptyque, la réalisatrice et photographe, née à Londres en 1960, revisitait sa vie d’étudiante et son éclosion en tant qu’artiste. Julie (Honor Swinton Byrne), la vingtaine, souffre de sa relation déstabilisante avec son amant. Sa mère (Tilda Swinton), une dame à l’élégance so british, apparaît comme un refuge : Julie vient poser ses valises chez ses parents, tandis qu’elle se reconstruit et repasse en boucle son histoire, dont elle fera le matériau de son premier film.

Sans être un troisième volet de The Souvenir, Eternal Daughter, sixième long-métrage de Joanna Hogg, à laquelle le Centre Pompidou à Paris vient de consacrer une rétrospective, propulse, une trentaine d’années plus tard, Julie et sa mère. Mais, ici, les deux personnages sont incarnés par Tilda Swinton : c’est une idée de l’actrice, amie d’enfance de Joanna Hogg, laquelle a saisi la balle au bond, la cinéaste s’aventurant sur ce terrain vertigineux et forcément créatif.

Scénario faussement routinier

Voici donc Julie, la cinquantaine au doux regard, et sa mère Rosalind, cheveux blancs crantés, portant la même robe vert bouteille que dans The Souvenir. Les deux femmes viennent passer quelques jours dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise, pareil à un manoir, où Rosalind a vécu dans le passé. Julie prépare un film sur sa mère, enregistre discrètement leurs conversations dans son smartphone, tout en culpabilisant un peu.

La nuit, les fenêtres claquent, Julie dort à peine. Ses déambulations dans les couloirs bleu-vert convoquent Shining (1980), de Kubrick, mais c’est dans la forme que nous happe Eternal Daughter, film à deux personnages et un seul corps, tourné en 16 millimètres. Dans Faux-Semblants (1988), l’histoire de jumeaux interprétés tous deux par Jeremy Irons, David Cronenberg avait eu recours aux effets spéciaux pour incruster le tandem à l’écran. Joanna Hogg, elle, filme alternativement la fille et la mère, dans une succession de champs, contrechamps. Une idée qui, d’emblée, introduit du mystère dans le scénario, faussement routinier.

Rosalind et Julie discutent, prennent leurs repas, la mère avale ses pilules, la fille est aux petits soins, va promener le chien, etc. La caméra passe de l’une à l’autre, et le spectateur, ne voyant jamais les deux femmes occuper ensemble la même pièce – sauf lors d’un plan furtif, où Rosalind apparaît un peu floue –, peut s’inventer des histoires. Il y a ce plan magique, où le visage de la réceptionniste (Carly-Sophia Davies) se reflète dans son miroir de poche, comme pour espionner Julie. Le récit s’épaissit au fur et à mesure que le jeu de Tilda Swinton, conjugué au montage, suggère d’autres espaces-temps et laisse entrer des fantômes.

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Rosalind (Tilda Swinton) dans « Eternal Daughter », de Joanna Hogg.

Il y a un an, les spectateurs découvraient le cinéma de Joanna Hogg comme on ouvre un album, avec l’intimiste The Souvenir. Part I & Part II (2022). Dans ce diptyque, la réalisatrice et photographe, née à Londres en 1960, revisitait sa vie d’étudiante et son éclosion en tant qu’artiste. Julie (Honor Swinton Byrne), la vingtaine, souffre de sa relation déstabilisante avec son amant. Sa mère (Tilda Swinton), une dame à l’élégance so british, apparaît comme un refuge : Julie vient poser ses valises chez ses parents, tandis qu’elle se reconstruit et repasse en boucle son histoire, dont elle fera le matériau de son premier film.

Sans être un troisième volet de The Souvenir, Eternal Daughter, sixième long-métrage de Joanna Hogg, à laquelle le Centre Pompidou à Paris vient de consacrer une rétrospective, propulse, une trentaine d’années plus tard, Julie et sa mère. Mais, ici, les deux personnages sont incarnés par Tilda Swinton : c’est une idée de l’actrice, amie d’enfance de Joanna Hogg, laquelle a saisi la balle au bond, la cinéaste s’aventurant sur ce terrain vertigineux et forcément créatif.

Scénario faussement routinier

Voici donc Julie, la cinquantaine au doux regard, et sa mère Rosalind, cheveux blancs crantés, portant la même robe vert bouteille que dans The Souvenir. Les deux femmes viennent passer quelques jours dans un hôtel perdu dans la campagne anglaise, pareil à un manoir, où Rosalind a vécu dans le passé. Julie prépare un film sur sa mère, enregistre discrètement leurs conversations dans son smartphone, tout en culpabilisant un peu.

La nuit, les fenêtres claquent, Julie dort à peine. Ses déambulations dans les couloirs bleu-vert convoquent Shining (1980), de Kubrick, mais c’est dans la forme que nous happe Eternal Daughter, film à deux personnages et un seul corps, tourné en 16 millimètres. Dans Faux-Semblants (1988), l’histoire de jumeaux interprétés tous deux par Jeremy Irons, David Cronenberg avait eu recours aux effets spéciaux pour incruster le tandem à l’écran. Joanna Hogg, elle, filme alternativement la fille et la mère, dans une succession de champs, contrechamps. Une idée qui, d’emblée, introduit du mystère dans le scénario, faussement routinier.

Rosalind et Julie discutent, prennent leurs repas, la mère avale ses pilules, la fille est aux petits soins, va promener le chien, etc. La caméra passe de l’une à l’autre, et le spectateur, ne voyant jamais les deux femmes occuper ensemble la même pièce – sauf lors d’un plan furtif, où Rosalind apparaît un peu floue –, peut s’inventer des histoires. Il y a ce plan magique, où le visage de la réceptionniste (Carly-Sophia Davies) se reflète dans son miroir de poche, comme pour espionner Julie. Le récit s’épaissit au fur et à mesure que le jeu de Tilda Swinton, conjugué au montage, suggère d’autres espaces-temps et laisse entrer des fantômes.

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