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Des Beatles à The Weeknd, comment les concerts ont conquis les stades… et les portefeuilles - Télérama.fr

De plus en plus nombreux, et de plus en plus chers… Les concerts en arène sont la nouvelle poule aux œufs d’or de l’industrie musicale, malgré des expériences inégales. Retour sur une tendance qui ne date pas d’hier.

Au Stade de France, à Saint-Denis (93), lors d’un concert de Depeche Mode, le 24 juin.

Au Stade de France, à Saint-Denis (93), lors d’un concert de Depeche Mode, le 24 juin. Photo Fred Dugit / PhotoPQR/Le Parisien/MAXPPP

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 28 juillet 2023 à 06h30

Une cloche retentit, laissant place à un piano lancinant, surmonté de violons et d’un chant tragiques. On reconnaît L’Extase de l’or, titre phare de la bande-son du film Le Bon, la Brute et le Truand. L’ambiance est épique ce 17 mai 2023 au Stade de France : le groupe américain Metallica s’apprête à monter sur scène pour le premier de ses deux concerts parisiens, galvanisant les 60 000 fans présents grâce aux riches mélodies d’Ennio Morricone.

Un moment d’une douce ironie : avec des places vendues entre 80 euros et 1 500 euros ce soir-là, Metallica assume sans fard d’exploiter le portefeuille de ses spectateurs. Confirmant ce que tout le monde s’accorde à dire : les concerts dans les stades, pour les artistes comme pour les producteurs, incarnent la nouvelle poule aux œufs d’or de l’industrie de la musique. Plus rentables (quand on remplit) qu’une série de concerts en petites salles, et plus lucratifs que des festivals en termes de billetterie.

Une manne dont l’attrait se juge à l’avalanche de dates en France cet été. Rien qu’au Stade de France, le rappeur Soprano a ouvert la saison le 6 mai, avant Metallica, Beyoncé, Harry Styles, Depeche Mode, Mylène Farmer, Muse, Blackpink, Rammstein et enfin The Weeknd, pour deux soirs fin juillet. Soit quatorze concerts prévus (et finalement douze, après l’annulation des deux dates de Mylène Farmer) entre début mai et fin juillet.

« C’est une année pleine », euphémise Angelo Gopee, patron des bureaux français du mastodonte Live Nation, leader mondial de l’organisation de concerts. Cet été en France, il produit pas moins de vingt-trois concerts dans des stades, dont un tiers à Paris. En province, le programme déborde : Beyoncé à l’Orange Vélodrome de Marseille, Depeche Mode et The Weeknd à l’Allianz Riviera de Nice, les Red Hot Chili Peppers au Groupama Stadium de Lyon… L’offre de concerts dans les arènes de plus de 30 000 places n’a jamais été aussi importante dans l’Hexagone.

Depeche Mode et The Weeknd jouent cet été à l’Allianz Riviera de Nice, une enceinte ultramoderne de 45 000 places.

Depeche Mode et The Weeknd jouent cet été à l’Allianz Riviera de Nice, une enceinte ultramoderne de 45 000 places. Photo Robert Palomba/OnlyFrance.fr

À cela, plusieurs explications. « D’abord un rattrapage des tournées qui n’ont pas pu se faire pendant la pandémie de Covid », suggère Angelo Gopee. Mais aussi la convergence de deux phénomènes : « La hausse du nombre de groupƒes capables de remplir des stades : il y a dix ans, ils n’étaient qu’une poignée, dont les Rolling Stones, AC/DC, U2, Coldplay… Enfin, il faut ajouter une hausse de la demande de concerts via le streaming, qui a démultiplié le nombre d’amateurs de musique dans le monde. » Des auditeurs prêts à casser la tirelire une fois l’été venu, pour se ruer dans un stade et applaudir leurs stars préférées.

Les chiffres confirment ses dires : d’après une étude du Centre national de la musique, en 2022, les concerts de grande capacité furent les seuls à remplir (et même à progresser en nombre de billets vendus), au contraire des petites (moins de 1 000 places) et moyennes jauges (entre 1 000 et 5 000), qui représentent pourtant la majorité de l’offre de concerts. Même chose au niveau mondial : l’année dernière, Live Nation se targuait d’avoir dépassé ses chiffres de 2019, dernière année de référence avant le Covid. Et 2023 est parti pour battre tous les records.

Lors d’un concert de Michael Jackson, au Parc des Princes de Paris, en 1988.

Lors d’un concert de Michael Jackson, au Parc des Princes de Paris, en 1988. Photo Garcia / Gamma-Rapho via Getty Images

« Pour le public, il y a un besoin inédit de grands-messes, confesse Angelo Gopee, et les artistes, eux, sont en quête de communion et de reconnaissance. » N’en déplaise au pieux producteur, ces célébrations musicales sur l’autel d’arènes sportives n’ont rien de nouveau. La musique a investi les stades pour la première fois il y a près de soixante ans, lorsque les Beatles montèrent en 1965 sur la scène du Shea Stadium à New York, devant une foule en délire. Un événement fondateur, comme le fut plus tard le concert du Live Aid à Wembley en 1985, qui lança l’histoire de la musique dans les stades.

Le rock (de Queen, Aerosmith, Kiss, U2, jusqu’à Bruce Springsteen) et la pop (Madonna, Michael Jackson) gagnèrent les arènes dans les années 1980, avant que le r’n’b et le rap (Beyoncé, The Weeknd, Drake, Kendrick Lamar), la variété internationale (Ed Sheeran, Coldplay, Harry Styles, Rosalia…) ou le metal (Rammstein, Metallica) ne s’y immiscent par la suite.

En France, la frénésie des stades a débuté plus tardivement, faute d’infrastructures adéquates. Les premiers grands concerts s’y tiennent en plein air : Pink Floyd à l’hippodrome de Vincennes, en septembre 1970, ou les Who à la Fête de l’Humanité en 1972, devant 100 000 personnes. À l’époque, Johnny Hallyday joue encore sous des chapiteaux et les Rolling Stones se produisent à l’Olympia ou au Pavillon de Paris, à Pantin, comme en juin 1976, devant 17 000 fans. Dans les années 1980, de grands concerts de plusieurs dizaines de milliers de personnes se tiennent aussi au parc de Sceaux (Madonna, Simon and Garfunkel) ou à l’aéroport du Bourget (Bob Marley en 1980).

Mais le premier vrai concert de stade n’a lieu qu’en 1988 au Parc des Princes, avec Michael Jackson et son Bad Tour. L’enceinte utilisée par le PSG devient alors un lieu privilégié, malgré un son calamiteux. Salomon Hazot, producteur de concerts depuis plus de quarante ans, dont jadis ceux de Metallica, se souvient du confort qu’offrait soudain le Parc (pourtant construit en 1967) : « Les gens étaient en plein air mais ils pouvaient s’asseoir comme dans une salle, et contrairement à un hippodrome, tout était déjà sur place : les toilettes, l’électricité, l’eau… Ce fut une petite révolution. »

Lors d’un concert des Beatles au Shea Stadium de New York, en 1966.

Lors d’un concert des Beatles au Shea Stadium de New York, en 1966. Photo Dalmas/Sipa

En 1998, le Stade de France et ses 80 000 places changent la donne. Les Rolling Stones s’y produisent les premiers en août, un mois après la finale de la Coupe du monde de foot, ouvrant une ère nouvelle, synonyme de liesse populaire et de démesure. « Avant, les gros artistes venaient avec 25-30 semi-remorques, rembobine Salomon Hazot, aujourd’hui c’est au minimum 65-70 camions. »

Et même plus de 90 semi-remorques pour la scène de Mylène Farmer (surpassant les quelque 78 camions et 500 techniciens de Beyoncé), qui entreprend la tournée la plus importante d’un artiste français sur le territoire. À son programme : des enceintes sportives comme le Vélodrome de Marseille ou la Beaujoire à Nantes, mais aussi des arenas, à l’image du Matmut Atlantique à Bordeaux. Des lieux fermés ultra modernes, aux jauges parfois supérieures à un stade et conçus spécialement pour les spectacles, qui ont germé ces dix dernières années un peu partout sur le territoire.

« Les gens parlent de nous comme d’un stade, car nous hébergeons un club de rugby [le Racing Metro 92], mais nous sommes avant tout une salle de concerts », insiste d’ailleurs Bathilde Lorenzetti, à la tête de la Paris La Défense Arena, plus grande salle de spectacle d’Europe, construite en 2017 et capable d’accueillir 45 000 spectateurs. Récemment, Bruce Springsteen ou la pop star Pink y sont montés sur scène, comme Maroon 5 ou les Guns N’ Roses. Beyoncé y a répété en avril pour sa tournée.

À côté du gigantisme des stades en plein air, où la communion populaire se dilue souvent dans un infâme brouillard sonore, ce genre d’arène offre une qualité inédite. « Notre grille technique [les structures arrimées au plafond de la salle] peut soutenir jusqu’à 200 tonnes de lumières et nous travaillons le son avec un acousticien. Grâce au toit, le “noir salle” offre aussi des possibilités de scénographie et une expérience incomparable avec un stade », plaide Bathilde Lorenzetti.

Une expérience qui, selon la fortune des spectateurs, peut prendre différentes postures : debout dans la fosse, ou en carré or, voire en loges, avec champagne et petits fours. L’année dernière, Bruce Springsteen défraya la chronique avec des places atteignant 5 000 dollars pour sa tournée aux États-Unis. Le boss, soi-disant proche du peuple, ne nia pas ses nouvelles visées capitalistes dans une interview à Rolling Stones : « Pendant cinquante ans, j’ai joué au-dessous des prix du marché. J’ai adoré ça. C’était bien pour les fans. Aujourd’hui, j’ai 73 ans. Je veux faire ce que tout le monde fait. »

À savoir, augmenter les prix et surfer sur la demande. En 2014, une place « pelouse or », soit debout devant la scène, pour la tournée On the Run de Beyoncé et Jay-Z au Stade de France, valait 72,80 euros. En 2023, au même endroit et pour la même place, il fallait débourser 195,10 euros, voire 200 euros pour admirer la Diva. Le manque à gagner du Covid, et la hausse des coûts, ainsi que des cachets en hausse pour les artistes, expliquent en partie la flambée des prix des places de concert. Mais pas seulement.

« Les places sont chères parce que des producteurs surpaient les groupes », estime Salomon Hazot, qui œuvre aujourd’hui en indépendant au service de la firme AEG, concurrent de Live Nation dont il fut un temps salarié. Il explique avoir perdu une partie de son catalogue au profit de la multinationale, qui depuis dix ans s’est lancée dans une course effrénée pour asseoir son monopole. Quitte à faire flamber les prix. Mais le public est au rendez-vous, malgré le tarif des billets et l’expérience inégale : au fond du stade, le spectateur en est souvent réduit à suivre le concert sur écran géant, bercé par l’écho assommant des basses.

Bob Marley au stade Mayol de Toulon, le 26 juin 1980.

Bob Marley au stade Mayol de Toulon, le 26 juin 1980. Photo Serge Aassier/Gamma-Rapho

Pour les plus fortunés en revanche, les conditions se sont nettement améliorées ces dernières années. Et les expériences « augmentées » font désormais partie intégrante de l’économie de certains grands concerts. C’est le cas à l’Allianz Riviera, le stade de Nice, où les « ventes d’hospitalité » sont devenues un gage de rentabilité. « Grâce aux places en loges et des prestations VIP de différents niveaux [qui vont jusqu’à 350 euros la place], on attire des entreprises, friandes d’offrir des événements pour leurs relations publiques. Pour nous, à côté des tarifs d’entrée de gamme et du pourcentage sur la billetterie négociés avec le producteur, ce sont des revenus non négligeables », explique Patrick Florence, directeur général de l’Allianz Riviera.

Et si les prix des billets peuvent atteindre des niveaux astronomiques, c’est qu’un producteur décide parfois, comme cela se fait notamment aux États-Unis, d’appliquer à ses tarifs un ajustement « dynamique », comme pour les billets d’avion ou de train. L’idée : plus la demande est grande, plus le prix des billets augmente. Bruce Springsteen y a succombé.

Autre option : tester la demande et changer son fusil d’épaule. The Weeknd avait quatre concerts complets prévus à l’Accor Arena à l’automne 2022. Il les a finalement annulés, puis a programmé une tournée six mois plus tard dans les stades. « En gros, il dit à son public : si vous voulez me voir, vous devrez payer plus cher et me regarder sur un écran », raille Salomon Hazot. Finalement, en choisissant L’Extase de l’or pour ouvrir ses concerts, Metallica a fait preuve d’une honnêteté rare… ou d’un cynisme sans borne.

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De plus en plus nombreux, et de plus en plus chers… Les concerts en arène sont la nouvelle poule aux œufs d’or de l’industrie musicale, malgré des expériences inégales. Retour sur une tendance qui ne date pas d’hier.

Au Stade de France, à Saint-Denis (93), lors d’un concert de Depeche Mode, le 24 juin.

Au Stade de France, à Saint-Denis (93), lors d’un concert de Depeche Mode, le 24 juin. Photo Fred Dugit / PhotoPQR/Le Parisien/MAXPPP

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 28 juillet 2023 à 06h30

Une cloche retentit, laissant place à un piano lancinant, surmonté de violons et d’un chant tragiques. On reconnaît L’Extase de l’or, titre phare de la bande-son du film Le Bon, la Brute et le Truand. L’ambiance est épique ce 17 mai 2023 au Stade de France : le groupe américain Metallica s’apprête à monter sur scène pour le premier de ses deux concerts parisiens, galvanisant les 60 000 fans présents grâce aux riches mélodies d’Ennio Morricone.

Un moment d’une douce ironie : avec des places vendues entre 80 euros et 1 500 euros ce soir-là, Metallica assume sans fard d’exploiter le portefeuille de ses spectateurs. Confirmant ce que tout le monde s’accorde à dire : les concerts dans les stades, pour les artistes comme pour les producteurs, incarnent la nouvelle poule aux œufs d’or de l’industrie de la musique. Plus rentables (quand on remplit) qu’une série de concerts en petites salles, et plus lucratifs que des festivals en termes de billetterie.

Une manne dont l’attrait se juge à l’avalanche de dates en France cet été. Rien qu’au Stade de France, le rappeur Soprano a ouvert la saison le 6 mai, avant Metallica, Beyoncé, Harry Styles, Depeche Mode, Mylène Farmer, Muse, Blackpink, Rammstein et enfin The Weeknd, pour deux soirs fin juillet. Soit quatorze concerts prévus (et finalement douze, après l’annulation des deux dates de Mylène Farmer) entre début mai et fin juillet.

« C’est une année pleine », euphémise Angelo Gopee, patron des bureaux français du mastodonte Live Nation, leader mondial de l’organisation de concerts. Cet été en France, il produit pas moins de vingt-trois concerts dans des stades, dont un tiers à Paris. En province, le programme déborde : Beyoncé à l’Orange Vélodrome de Marseille, Depeche Mode et The Weeknd à l’Allianz Riviera de Nice, les Red Hot Chili Peppers au Groupama Stadium de Lyon… L’offre de concerts dans les arènes de plus de 30 000 places n’a jamais été aussi importante dans l’Hexagone.

Depeche Mode et The Weeknd jouent cet été à l’Allianz Riviera de Nice, une enceinte ultramoderne de 45 000 places.

Depeche Mode et The Weeknd jouent cet été à l’Allianz Riviera de Nice, une enceinte ultramoderne de 45 000 places. Photo Robert Palomba/OnlyFrance.fr

À cela, plusieurs explications. « D’abord un rattrapage des tournées qui n’ont pas pu se faire pendant la pandémie de Covid », suggère Angelo Gopee. Mais aussi la convergence de deux phénomènes : « La hausse du nombre de groupƒes capables de remplir des stades : il y a dix ans, ils n’étaient qu’une poignée, dont les Rolling Stones, AC/DC, U2, Coldplay… Enfin, il faut ajouter une hausse de la demande de concerts via le streaming, qui a démultiplié le nombre d’amateurs de musique dans le monde. » Des auditeurs prêts à casser la tirelire une fois l’été venu, pour se ruer dans un stade et applaudir leurs stars préférées.

Les chiffres confirment ses dires : d’après une étude du Centre national de la musique, en 2022, les concerts de grande capacité furent les seuls à remplir (et même à progresser en nombre de billets vendus), au contraire des petites (moins de 1 000 places) et moyennes jauges (entre 1 000 et 5 000), qui représentent pourtant la majorité de l’offre de concerts. Même chose au niveau mondial : l’année dernière, Live Nation se targuait d’avoir dépassé ses chiffres de 2019, dernière année de référence avant le Covid. Et 2023 est parti pour battre tous les records.

Lors d’un concert de Michael Jackson, au Parc des Princes de Paris, en 1988.

Lors d’un concert de Michael Jackson, au Parc des Princes de Paris, en 1988. Photo Garcia / Gamma-Rapho via Getty Images

« Pour le public, il y a un besoin inédit de grands-messes, confesse Angelo Gopee, et les artistes, eux, sont en quête de communion et de reconnaissance. » N’en déplaise au pieux producteur, ces célébrations musicales sur l’autel d’arènes sportives n’ont rien de nouveau. La musique a investi les stades pour la première fois il y a près de soixante ans, lorsque les Beatles montèrent en 1965 sur la scène du Shea Stadium à New York, devant une foule en délire. Un événement fondateur, comme le fut plus tard le concert du Live Aid à Wembley en 1985, qui lança l’histoire de la musique dans les stades.

Le rock (de Queen, Aerosmith, Kiss, U2, jusqu’à Bruce Springsteen) et la pop (Madonna, Michael Jackson) gagnèrent les arènes dans les années 1980, avant que le r’n’b et le rap (Beyoncé, The Weeknd, Drake, Kendrick Lamar), la variété internationale (Ed Sheeran, Coldplay, Harry Styles, Rosalia…) ou le metal (Rammstein, Metallica) ne s’y immiscent par la suite.

En France, la frénésie des stades a débuté plus tardivement, faute d’infrastructures adéquates. Les premiers grands concerts s’y tiennent en plein air : Pink Floyd à l’hippodrome de Vincennes, en septembre 1970, ou les Who à la Fête de l’Humanité en 1972, devant 100 000 personnes. À l’époque, Johnny Hallyday joue encore sous des chapiteaux et les Rolling Stones se produisent à l’Olympia ou au Pavillon de Paris, à Pantin, comme en juin 1976, devant 17 000 fans. Dans les années 1980, de grands concerts de plusieurs dizaines de milliers de personnes se tiennent aussi au parc de Sceaux (Madonna, Simon and Garfunkel) ou à l’aéroport du Bourget (Bob Marley en 1980).

Mais le premier vrai concert de stade n’a lieu qu’en 1988 au Parc des Princes, avec Michael Jackson et son Bad Tour. L’enceinte utilisée par le PSG devient alors un lieu privilégié, malgré un son calamiteux. Salomon Hazot, producteur de concerts depuis plus de quarante ans, dont jadis ceux de Metallica, se souvient du confort qu’offrait soudain le Parc (pourtant construit en 1967) : « Les gens étaient en plein air mais ils pouvaient s’asseoir comme dans une salle, et contrairement à un hippodrome, tout était déjà sur place : les toilettes, l’électricité, l’eau… Ce fut une petite révolution. »

Lors d’un concert des Beatles au Shea Stadium de New York, en 1966.

Lors d’un concert des Beatles au Shea Stadium de New York, en 1966. Photo Dalmas/Sipa

En 1998, le Stade de France et ses 80 000 places changent la donne. Les Rolling Stones s’y produisent les premiers en août, un mois après la finale de la Coupe du monde de foot, ouvrant une ère nouvelle, synonyme de liesse populaire et de démesure. « Avant, les gros artistes venaient avec 25-30 semi-remorques, rembobine Salomon Hazot, aujourd’hui c’est au minimum 65-70 camions. »

Et même plus de 90 semi-remorques pour la scène de Mylène Farmer (surpassant les quelque 78 camions et 500 techniciens de Beyoncé), qui entreprend la tournée la plus importante d’un artiste français sur le territoire. À son programme : des enceintes sportives comme le Vélodrome de Marseille ou la Beaujoire à Nantes, mais aussi des arenas, à l’image du Matmut Atlantique à Bordeaux. Des lieux fermés ultra modernes, aux jauges parfois supérieures à un stade et conçus spécialement pour les spectacles, qui ont germé ces dix dernières années un peu partout sur le territoire.

« Les gens parlent de nous comme d’un stade, car nous hébergeons un club de rugby [le Racing Metro 92], mais nous sommes avant tout une salle de concerts », insiste d’ailleurs Bathilde Lorenzetti, à la tête de la Paris La Défense Arena, plus grande salle de spectacle d’Europe, construite en 2017 et capable d’accueillir 45 000 spectateurs. Récemment, Bruce Springsteen ou la pop star Pink y sont montés sur scène, comme Maroon 5 ou les Guns N’ Roses. Beyoncé y a répété en avril pour sa tournée.

À côté du gigantisme des stades en plein air, où la communion populaire se dilue souvent dans un infâme brouillard sonore, ce genre d’arène offre une qualité inédite. « Notre grille technique [les structures arrimées au plafond de la salle] peut soutenir jusqu’à 200 tonnes de lumières et nous travaillons le son avec un acousticien. Grâce au toit, le “noir salle” offre aussi des possibilités de scénographie et une expérience incomparable avec un stade », plaide Bathilde Lorenzetti.

Une expérience qui, selon la fortune des spectateurs, peut prendre différentes postures : debout dans la fosse, ou en carré or, voire en loges, avec champagne et petits fours. L’année dernière, Bruce Springsteen défraya la chronique avec des places atteignant 5 000 dollars pour sa tournée aux États-Unis. Le boss, soi-disant proche du peuple, ne nia pas ses nouvelles visées capitalistes dans une interview à Rolling Stones : « Pendant cinquante ans, j’ai joué au-dessous des prix du marché. J’ai adoré ça. C’était bien pour les fans. Aujourd’hui, j’ai 73 ans. Je veux faire ce que tout le monde fait. »

À savoir, augmenter les prix et surfer sur la demande. En 2014, une place « pelouse or », soit debout devant la scène, pour la tournée On the Run de Beyoncé et Jay-Z au Stade de France, valait 72,80 euros. En 2023, au même endroit et pour la même place, il fallait débourser 195,10 euros, voire 200 euros pour admirer la Diva. Le manque à gagner du Covid, et la hausse des coûts, ainsi que des cachets en hausse pour les artistes, expliquent en partie la flambée des prix des places de concert. Mais pas seulement.

« Les places sont chères parce que des producteurs surpaient les groupes », estime Salomon Hazot, qui œuvre aujourd’hui en indépendant au service de la firme AEG, concurrent de Live Nation dont il fut un temps salarié. Il explique avoir perdu une partie de son catalogue au profit de la multinationale, qui depuis dix ans s’est lancée dans une course effrénée pour asseoir son monopole. Quitte à faire flamber les prix. Mais le public est au rendez-vous, malgré le tarif des billets et l’expérience inégale : au fond du stade, le spectateur en est souvent réduit à suivre le concert sur écran géant, bercé par l’écho assommant des basses.

Bob Marley au stade Mayol de Toulon, le 26 juin 1980.

Bob Marley au stade Mayol de Toulon, le 26 juin 1980. Photo Serge Aassier/Gamma-Rapho

Pour les plus fortunés en revanche, les conditions se sont nettement améliorées ces dernières années. Et les expériences « augmentées » font désormais partie intégrante de l’économie de certains grands concerts. C’est le cas à l’Allianz Riviera, le stade de Nice, où les « ventes d’hospitalité » sont devenues un gage de rentabilité. « Grâce aux places en loges et des prestations VIP de différents niveaux [qui vont jusqu’à 350 euros la place], on attire des entreprises, friandes d’offrir des événements pour leurs relations publiques. Pour nous, à côté des tarifs d’entrée de gamme et du pourcentage sur la billetterie négociés avec le producteur, ce sont des revenus non négligeables », explique Patrick Florence, directeur général de l’Allianz Riviera.

Et si les prix des billets peuvent atteindre des niveaux astronomiques, c’est qu’un producteur décide parfois, comme cela se fait notamment aux États-Unis, d’appliquer à ses tarifs un ajustement « dynamique », comme pour les billets d’avion ou de train. L’idée : plus la demande est grande, plus le prix des billets augmente. Bruce Springsteen y a succombé.

Autre option : tester la demande et changer son fusil d’épaule. The Weeknd avait quatre concerts complets prévus à l’Accor Arena à l’automne 2022. Il les a finalement annulés, puis a programmé une tournée six mois plus tard dans les stades. « En gros, il dit à son public : si vous voulez me voir, vous devrez payer plus cher et me regarder sur un écran », raille Salomon Hazot. Finalement, en choisissant L’Extase de l’or pour ouvrir ses concerts, Metallica a fait preuve d’une honnêteté rare… ou d’un cynisme sans borne.

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