Depuis sa publication en 1982, le roman d’Alice Walker est un phénomène culturel dont chaque nouvelle adaptation (film, comédie musicale… ) enflamme les débats. Récit d’une passion américaine, à l’occasion de sa rediffusion sur Arte ce dimanche.
Publié le 02 juillet 2023 à 18h30
Qui ne s’est jamais écharpé, aux États-Unis, au sujet de Nettie et Celie, deux sœurs noires américaines et pauvres qui grandissent dans le Sud ségrégationniste du pays, au début du XXe siècle ? Ce sont les deux héroïnes du roman d’Alice Walker, La Couleur pourpre. La première s’enfuit de la plantation. La seconde, analphabète, méprisée et considérée comme laide, reste. Elle est exploitée de façon dégradante, avant d’apprendre à faire face, grâce à sa rencontre avec des femmes de caractère. Celie écrit des lettres à Nettie ou à son « Cher bon Dieu ».
C’est d’abord sous ce titre que paraît en France, en 1984, l’ouvrage d’Alice Walker, essayiste, poétesse et militante féministe noire américaine, jusque-là confidentielle. Dans ses lettres, Celie raconte sans misérabilisme la violence de sa condition, le pardon qu’elle accorde à ses agresseurs et sa relation amoureuse avec Shug, la maîtresse de son époux. Dans la littérature américaine, la misogynie, la pauvreté et la violence n’avaient jamais jusque-là été associées au saphisme, au féminisme et à la spiritualité sous cette forme, épistolaire.
Le roman demeure l’un des plus grands succès de l’histoire littéraire américaine, tout en étant régulièrement banni des bibliothèques scolaires du pays, en raison de son traitement de la sexualité et de son langage blasphématoire. Alice Walker et ses lectrices pensent que son livre peut changer les mentalités. Les Noirs américains l’accusent au contraire de se réapproprier des stéréotypes racistes envers eux : les hommes y sont présentés comme des brutes et des prédateurs sexuels. Ils lui reprochent de se focaliser sur l’oppression des femmes plutôt que sur celle de la communauté noire tout entière. La relation saphique entre Celie et Shug est même vue comme une attaque envers la sexualité masculine, la famille noire américaine et les relations hétérosexuelles.
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Cette polarisation du public s’amplifie avec l’adaptation pour le cinéma de La Couleur pourpre par Steven Spielberg, en 1985. On s’accorde pour reconnaître que le réalisateur, même blanc, est, par sa stature, le seul capable de convaincre un studio hollywoodien de produire un film dont le casting est afro-américain – John Singleton et Spike Lee sont encore inconnus. Danny Glover y figure, pour sa part, dans le rôle du mari violent de Celie. Selon lui, un public habitué à l’époque à la vision de l’homme noir popularisée par le Cosby Show peut être choqué par son personnage, mais celui-ci permet d’engager le débat sur la violence patriarcale. Beaucoup de spectatrices y voient effectivement un reflet de leur condition domestique, tandis que les lesbiennes reprochent à Spielberg d’avoir réduit le saphisme de Celie à un unique baiser.
En 2004, La Couleur pourpre devient une comédie musicale plébiscitée dans tous les États-Unis. À Chicago, c’est une metteuse en scène noire américaine, Lili-Anne Brown, qui dirige le spectacle, plus consensuel, et qui privilégie l’émancipation de Celie, non la violence qu’elle subit. Le succès se poursuit, mais, en 2019, l’actrice Seyi Omooba est écartée du casting pour ses déclarations homophobes, alors qu’elle devait reprendre le rôle de Celie. Aujourd’hui, La Couleur pourpre fait l’objet d’une nouvelle adaptation au cinéma. Réalisée par le cinéaste noir américain Blitz Bazawule, c’est à nouveau une comédie musicale et une féerie, qui d’après sa bande-annonce, continue d’arrondir les angles.
Y parviendra-t-elle, à l’heure où #MeToo n’a pas épargné la communauté afro-américaine, avec les arrestations de R. Kelly ou du producteur hip-hop Russell Simmons, dont beaucoup de Noirs américains ont pris la défense, et dont les accusatrices ont été comparées aux lyncheurs blancs du Ku Klux Klan ?
Alice Walker, qui dit avoir trahi ses ancêtres avec la version Spielberg, espère beaucoup de ce remake qui sortira à Noël aux États-Unis. En attendant, l’autrice, qui a interdit la traduction de La Couleur pourpre en hébreu car elle considère qu’Israël pratique l’apartheid, est régulièrement accusée d’antisémitisme et de sympathie envers des complotistes notoires aux États-Unis. Pas vraiment de quoi faire retomber la controverse au sujet de son roman, qui n’en finit plus de représenter toutes les divisions américaines.
q La Couleur pourpre, dimanche 2 juillet sur Arte à 21h.
Read AgainDepuis sa publication en 1982, le roman d’Alice Walker est un phénomène culturel dont chaque nouvelle adaptation (film, comédie musicale… ) enflamme les débats. Récit d’une passion américaine, à l’occasion de sa rediffusion sur Arte ce dimanche.
Publié le 02 juillet 2023 à 18h30
Qui ne s’est jamais écharpé, aux États-Unis, au sujet de Nettie et Celie, deux sœurs noires américaines et pauvres qui grandissent dans le Sud ségrégationniste du pays, au début du XXe siècle ? Ce sont les deux héroïnes du roman d’Alice Walker, La Couleur pourpre. La première s’enfuit de la plantation. La seconde, analphabète, méprisée et considérée comme laide, reste. Elle est exploitée de façon dégradante, avant d’apprendre à faire face, grâce à sa rencontre avec des femmes de caractère. Celie écrit des lettres à Nettie ou à son « Cher bon Dieu ».
C’est d’abord sous ce titre que paraît en France, en 1984, l’ouvrage d’Alice Walker, essayiste, poétesse et militante féministe noire américaine, jusque-là confidentielle. Dans ses lettres, Celie raconte sans misérabilisme la violence de sa condition, le pardon qu’elle accorde à ses agresseurs et sa relation amoureuse avec Shug, la maîtresse de son époux. Dans la littérature américaine, la misogynie, la pauvreté et la violence n’avaient jamais jusque-là été associées au saphisme, au féminisme et à la spiritualité sous cette forme, épistolaire.
Le roman demeure l’un des plus grands succès de l’histoire littéraire américaine, tout en étant régulièrement banni des bibliothèques scolaires du pays, en raison de son traitement de la sexualité et de son langage blasphématoire. Alice Walker et ses lectrices pensent que son livre peut changer les mentalités. Les Noirs américains l’accusent au contraire de se réapproprier des stéréotypes racistes envers eux : les hommes y sont présentés comme des brutes et des prédateurs sexuels. Ils lui reprochent de se focaliser sur l’oppression des femmes plutôt que sur celle de la communauté noire tout entière. La relation saphique entre Celie et Shug est même vue comme une attaque envers la sexualité masculine, la famille noire américaine et les relations hétérosexuelles.
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Cette polarisation du public s’amplifie avec l’adaptation pour le cinéma de La Couleur pourpre par Steven Spielberg, en 1985. On s’accorde pour reconnaître que le réalisateur, même blanc, est, par sa stature, le seul capable de convaincre un studio hollywoodien de produire un film dont le casting est afro-américain – John Singleton et Spike Lee sont encore inconnus. Danny Glover y figure, pour sa part, dans le rôle du mari violent de Celie. Selon lui, un public habitué à l’époque à la vision de l’homme noir popularisée par le Cosby Show peut être choqué par son personnage, mais celui-ci permet d’engager le débat sur la violence patriarcale. Beaucoup de spectatrices y voient effectivement un reflet de leur condition domestique, tandis que les lesbiennes reprochent à Spielberg d’avoir réduit le saphisme de Celie à un unique baiser.
En 2004, La Couleur pourpre devient une comédie musicale plébiscitée dans tous les États-Unis. À Chicago, c’est une metteuse en scène noire américaine, Lili-Anne Brown, qui dirige le spectacle, plus consensuel, et qui privilégie l’émancipation de Celie, non la violence qu’elle subit. Le succès se poursuit, mais, en 2019, l’actrice Seyi Omooba est écartée du casting pour ses déclarations homophobes, alors qu’elle devait reprendre le rôle de Celie. Aujourd’hui, La Couleur pourpre fait l’objet d’une nouvelle adaptation au cinéma. Réalisée par le cinéaste noir américain Blitz Bazawule, c’est à nouveau une comédie musicale et une féerie, qui d’après sa bande-annonce, continue d’arrondir les angles.
Y parviendra-t-elle, à l’heure où #MeToo n’a pas épargné la communauté afro-américaine, avec les arrestations de R. Kelly ou du producteur hip-hop Russell Simmons, dont beaucoup de Noirs américains ont pris la défense, et dont les accusatrices ont été comparées aux lyncheurs blancs du Ku Klux Klan ?
Alice Walker, qui dit avoir trahi ses ancêtres avec la version Spielberg, espère beaucoup de ce remake qui sortira à Noël aux États-Unis. En attendant, l’autrice, qui a interdit la traduction de La Couleur pourpre en hébreu car elle considère qu’Israël pratique l’apartheid, est régulièrement accusée d’antisémitisme et de sympathie envers des complotistes notoires aux États-Unis. Pas vraiment de quoi faire retomber la controverse au sujet de son roman, qui n’en finit plus de représenter toutes les divisions américaines.
q La Couleur pourpre, dimanche 2 juillet sur Arte à 21h.
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