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Le cinéaste géorgien Otar Iosseliani, chantre des plaisirs simples, est mort - Le Monde

Otar Iosseliani, à Paris, en avril 2011.

Nombre d’artistes se cassent les dents à vouloir saisir l’ineffable légèreté de la vie. Otar Iosseliani, lui, semblait entretenir avec elle un commerce privilégié, avoir conclu un pacte secret. Unique, inclassable, le cinéaste est mort le 17 décembre à Tbilissi à l’âge de 89 ans. Naturalisé français, il était originaire de Géorgie, cette petite République du Caucase (4 millions d’âmes) longtemps restée sous le joug de Moscou, mais où les faveurs du climat et des sols ont façonné des mœurs plus méridionales que soviétiques, une « dolce vita » chiche et fataliste tournée vers les plaisirs commensaux. Iosseliani en fut le dépositaire, même une fois exilé en France pour échapper à la censure, et partout où se posait sa caméra (Paris, la campagne, le Pays basque, mais aussi Venise dans Lundi matin et jusqu’au Sénégal pour Et la lumière fut), ressurgissait comme un petit morceau de Georgie excentrique, pays de chants et d’augustes tablées.

Avec Il était une fois un merle chanteur (1970), Les Favoris de la Lune (1984) ou La Chasse aux papillons (1992), il a inventé une écriture unique, discrètement sophistiquée, sorte de fugue cinématographique aux articulations fines, papillonnant parmi de petits peuples de personnages. Un territoire de poésie qui, à rebours d’un cinéma majoritairement bavard, faisait prévaloir le geste sur la parole, dans l’esprit d’un cinéma muet révéré (René Clair au premier chef) et de ses continuateurs burlesque comme Jacques Tati, auquel on l’a beaucoup comparé.

Né le 2 février 1934 à Tbilissi, à l’époque rattachée à l’Union soviétique, Otar Iosseliani s’oriente d’abord vers la musique au Conservatoire, dont il sort diplômé en piano, direction d’orchestre et composition – la chose n’a rien d’anodin quant à la nonchalance concertée, voire « concertiste », de son cinéma à venir. Entre 1953, il part à Moscou, étudie mathématiques et mécanique à l’Université, puis intègre l’Institut national de la cinématographie ou « VGIK », prestigieuse école née dans l’élan de la Révolution. Il y reçoit, notamment, l’enseignement d’Alexandre Dovjenko (1894-1956), mais aussi de son « compatriote » Mikhaïl Tchiaoureli (1894-1974).

Premier film interdit de diffusion en URSS

Son film de fin d’études, Avril (1961), moyen-métrage de 50 minutes, est déjà une merveille. Un jeune couple s’installe dans un appartement neuf au sein d’un immeuble de construction moderne, aux abords du village. Ils s’aiment dans le logement vide, mais se laissent bientôt envahir par une accumulation de camelote, pièces d’ameublement et matériel électro-ménager, qui s’interpose entre eux, et peu à peu les sépare. Sans parole ou presque, cette pantomine de la vie domestique est entièrement sonorisée a posteriori, dans une symphonie cocasse d’objets couinant et grinçant de toute leur incongruité. Les ennuis ne se font pas attendre : le film est interdit de diffusion en URSS pendant près de 15 ans pour « formalisme excessif ».

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Otar Iosseliani, à Paris, en avril 2011.

Nombre d’artistes se cassent les dents à vouloir saisir l’ineffable légèreté de la vie. Otar Iosseliani, lui, semblait entretenir avec elle un commerce privilégié, avoir conclu un pacte secret. Unique, inclassable, le cinéaste est mort le 17 décembre à Tbilissi à l’âge de 89 ans. Naturalisé français, il était originaire de Géorgie, cette petite République du Caucase (4 millions d’âmes) longtemps restée sous le joug de Moscou, mais où les faveurs du climat et des sols ont façonné des mœurs plus méridionales que soviétiques, une « dolce vita » chiche et fataliste tournée vers les plaisirs commensaux. Iosseliani en fut le dépositaire, même une fois exilé en France pour échapper à la censure, et partout où se posait sa caméra (Paris, la campagne, le Pays basque, mais aussi Venise dans Lundi matin et jusqu’au Sénégal pour Et la lumière fut), ressurgissait comme un petit morceau de Georgie excentrique, pays de chants et d’augustes tablées.

Avec Il était une fois un merle chanteur (1970), Les Favoris de la Lune (1984) ou La Chasse aux papillons (1992), il a inventé une écriture unique, discrètement sophistiquée, sorte de fugue cinématographique aux articulations fines, papillonnant parmi de petits peuples de personnages. Un territoire de poésie qui, à rebours d’un cinéma majoritairement bavard, faisait prévaloir le geste sur la parole, dans l’esprit d’un cinéma muet révéré (René Clair au premier chef) et de ses continuateurs burlesque comme Jacques Tati, auquel on l’a beaucoup comparé.

Né le 2 février 1934 à Tbilissi, à l’époque rattachée à l’Union soviétique, Otar Iosseliani s’oriente d’abord vers la musique au Conservatoire, dont il sort diplômé en piano, direction d’orchestre et composition – la chose n’a rien d’anodin quant à la nonchalance concertée, voire « concertiste », de son cinéma à venir. Entre 1953, il part à Moscou, étudie mathématiques et mécanique à l’Université, puis intègre l’Institut national de la cinématographie ou « VGIK », prestigieuse école née dans l’élan de la Révolution. Il y reçoit, notamment, l’enseignement d’Alexandre Dovjenko (1894-1956), mais aussi de son « compatriote » Mikhaïl Tchiaoureli (1894-1974).

Premier film interdit de diffusion en URSS

Son film de fin d’études, Avril (1961), moyen-métrage de 50 minutes, est déjà une merveille. Un jeune couple s’installe dans un appartement neuf au sein d’un immeuble de construction moderne, aux abords du village. Ils s’aiment dans le logement vide, mais se laissent bientôt envahir par une accumulation de camelote, pièces d’ameublement et matériel électro-ménager, qui s’interpose entre eux, et peu à peu les sépare. Sans parole ou presque, cette pantomine de la vie domestique est entièrement sonorisée a posteriori, dans une symphonie cocasse d’objets couinant et grinçant de toute leur incongruité. Les ennuis ne se font pas attendre : le film est interdit de diffusion en URSS pendant près de 15 ans pour « formalisme excessif ».

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