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Françoise Sagan : l'album souvenir de son fils Denis Westhoff - Paris Match

Paris Match. Pour vous, qui est Françoise Sagan ?
Denis Westhoff. Une femme à deux visages, celle qui a eu le rôle d’écrivain et celle qui a eu le rôle de mère, avec qui je me suis merveilleusement entendu.

Anne Berest. C’est un modèle parce qu’elle a traversé sa vie en souriant, parfois dans un éclat de rire, même quand c’était difficile. Et parce qu’elle a écrit des choses merveilleuses. Toute sa vie, elle a été importante dans le paysage littéraire, et c’est très difficile d’exister tant d’années dans ce métier. Elle n’a cessé d’attirer la curiosité, l’appétit, l’envie et le désir.

Dans une interview, il y a quelques années, Denis, vous disiez : “Si l’œuvre de ma mère existe encore, cela tient du miracle.” Est-ce que cela vous surprend toujours ?
D.W. 
Ça me surprend moins. À l’époque, j’étais dans une période où je récupérais les droits d’auteur et où son œuvre était un peu passée de mode. J’ai fini d’éponger ses dettes il y a quatre ans, ces droits d’auteur me reviennent aujourd’hui directement. Je n’étais pas certain que les choses allaient aussi bien se passer, je ne pensais pas qu’elle serait un écrivain aussi renommé et j’en suis vraiment heureux parce que j’admire son œuvre, ses idées. Je trouve ça formidable qu’elle plaise encore. Elle a une sorte d’intemporalité. C’est ce qui fait qu’elle reste célèbre et moderne. Les thèmes qu’elle traite sont éternels.

Votre livre est empreint de légèreté, comme pour mieux effacer la part sombre de Françoise Sagan, tant représentée ?
D.W. Oui ! Ce livre se situe entre le récit et le document. J’ai voulu prendre l’aspect difficile des choses. Parler d’une femme à travers ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a ressenti, traversé, les choses qui l’attiraient, celles qu’elle aimait. Se limiter à quelques-unes de ses habitudes les plus faciles comme l’alcool et le jeu, je ne trouve pas ça intéressant.

A.B. Il se lit comme un roman. C’est un livre très ouvert, pour ceux qui veulent la découvrir, notamment les jeunes générations qui ne la connaissent pas, mais aussi pour ceux qui pensent déjà tout savoir d’elle. Je connais très bien sa vie et pourtant j’ai appris beaucoup de choses. Tout le chapitre sur ce qui lui est arrivé au Festival de Cannes… Je ne l’avais jamais lu avec autant de détails, c’est passionnant !

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"Je me suis efforcé de préserver ce qui me paraissait très grave"

Vous avez tous les deux écrit sur elle, Denis, avec “Les années Sagan”, et Anne, avec “Sagan 1954”. Comment parvenir à un équilibre entre les révélations sur sa vie privée et la protection de son intimité ?
A.B. Lorsque Denis m’a demandé d’écrire ce livre, c’était très précis. Il s’agissait de s’intéresser à l’année 1954. Donc, c’est la naissance de l’écrivaine. Paradoxalement, ce récit est dans ma vie un déclic puisque je m’autorise pour la première fois à me raconter, moi, à être dans une forme d’impudeur. C’est grâce à elle, comme si elle m’avait donné l’autorisation de le faire.

D.W. Je me suis efforcé de préserver ce qui me paraissait très grave et ce qui me paraissait important, c’est-à-dire l’image de la femme que j’aime. La femme authentique, originale, la femme de talent, imaginative, intelligente. Celle qui se fout des qu’en-dira-t-on et des principes.

Françoise Sagan a lutté pour l’avortement en signant la pétition des 343. “L’avortement, disait-elle, c’est une question de classe.” Qu’est-ce qui vous frappe dans ses mots ?
D.W. Elle a toujours été un peu en avance sur son temps. Quand elle a écrit “Bonjour tristesse”, elle a éveillé la conscience de toute une génération de jeunes filles qui n’attendaient que d’avoir cette nouvelle fenêtre sur le monde.

A.B. Il ne faut pas oublier que “Bonjour tristesse” fait scandale parce qu’elle ose raconter l’histoire d’une mineure qui va aimer avoir des relations sexuelles sans être amoureuse de son petit ami, et ne va pas être punie pour ça, c’est-à-dire ne va pas tomber enceinte. C’est nouveau, et c’est une révolution. On comprend que son regard sur ce sujet-là fasse que, en avance, elle défende l’avortement.

Plus tard, on la voit engagée auprès de François ­Mitterrand sur des sujets sociétaux. Mais on la ­présente rarement sous cet angle…
A.B. C’est ça qui est très intéressant. Denis va à rebours de certaines images qu’on a de Françoise Sagan. On la voit effectivement très engagée politiquement dans l’affirmation de choix de son époque. Ça va à l’encontre de cette image de Mai 1968, où elle est dans sa Jaguar et répond aux étudiants par des traits d’esprit. C’est une goutte d’eau dans sa vie. On voit que, plus elle vieillit, plus elle s’engage politiquement dans son époque.

D.W. C’est important pour moi. Elle est peu connue comme femme engagée. Dès qu’elle est froissée ou décalée, dès que ses idées sont malmenées ou violées, elle réagit automatiquement.

Un film en préparation

Anne, dans la préface de “Derrière l’épaule”, vous faites un lien entre son écriture et celle de Virginia Woolf. Pourquoi ?
A.B. Sur le papier, ce sont deux femmes absolument opposées. Mais, lorsqu’on lit le “Journal” de Virginia Woolf, on s’aperçoit qu’elle aimait la vie immensément, qu’elle pouvait être très drôle, qu’elle appréciait aussi les choses inattendues. Et quand on lit “Derrière l’épaule” de Sagan, on se rend compte qu’elles ont le même goût du sérieux, que Sagan met dans la réflexion sur son écriture.

D.W. Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Anne, et il se trouve que Virginia Woolf est l’une de mes écrivaines favorites !

Vous évoquez, Denis, son attachement aux animaux et à la ­Normandie, son amour pour la nature… Pensez-vous que Françoise Sagan était une écolo avant l’heure ?
D.W. Oui, et je pense qu’elle a aussi précédé une génération avec un texte qui s’appelle “La nature” dans le recueil “Chroniques 1954-2003”. Elle y fait part de son inquiétude face aux effets de l’être humain sur la planète.

Un écrivain est-il au sommet de son écriture dès lors qu’il a touché la jeunesse ?
A.B.
J’écris pour la jeune génération, c’est à eux que je m’adresse.

D.W. On s’adresse toujours aux jeunes…

A.B. Pas forcément. Il y a des écrivains qui ne s’adressent même pas à un lecteur, ils écrivent parce qu’ils ont une nécessité qui jaillit. Donc chaque auteur a son horizon. Le mien est tourné vers la jeunesse. Il y a des gens qui écrivent pour la personne qu’ils aiment.

DW. Toi, tu ne le fais pas délibérément ?

A.B. Si. “La carte postale”, je l’ai écrite vraiment en me disant que je voulais que cela soit lu par des jeunes adultes ou de grands adolescents. C’était mon obsession.

Denis, que pouvez-vous nous dire du film “Bonjour tristesse”, avec Chloë Sevigny, qui sort en septembre ?
D.W. Il est resté très longtemps en gestation puisqu’il y a eu des discussions interminables sur la cession des droits – elles ont duré cinq ans. Le film vient d’être terminé, il est extrêmement moderne et n’a plus rien à voir avec la version d’Otto ­Preminger. La jeune actrice qui interprète Cécile est vraiment très surprenante et touchante.

S’il fallait ne retenir qu’un seul de ses 21 romans, lequel choisiriez-vous ?
D.W.
C’est difficile, je change souvent. J’aime beaucoup “La laisse”. Et “Un profil perdu”. Contrairement à elle ! [Il rit.]

A.B. J’ai une passion pour “La chamade”. Et aussi pour ses Mémoires, “Derrière l’épaule”. Ce livre est vraiment un exploit, que je conseille à tous ceux qui veulent écrire, qui se posent des questions sur ce que c’est qu’écrire, comment écrire. Elle donne beaucoup de réponses.

D.W. Oui, mais moi je ne le conseille pas à des gens qui ne connaissent pas son œuvre. Il faut l’avoir lue. C’est beaucoup plus drôle en tout cas…

« Les années Sagan », de Denis Westhoff, éd. Gourcuff Gradenigo, 224 pages, 39 euros.

« Les années Sagan », de Denis Westhoff, éd. Gourcuff Gradenigo, 224 pages, 39 euros. © DR

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Paris Match. Pour vous, qui est Françoise Sagan ?
Denis Westhoff. Une femme à deux visages, celle qui a eu le rôle d’écrivain et celle qui a eu le rôle de mère, avec qui je me suis merveilleusement entendu.

Anne Berest. C’est un modèle parce qu’elle a traversé sa vie en souriant, parfois dans un éclat de rire, même quand c’était difficile. Et parce qu’elle a écrit des choses merveilleuses. Toute sa vie, elle a été importante dans le paysage littéraire, et c’est très difficile d’exister tant d’années dans ce métier. Elle n’a cessé d’attirer la curiosité, l’appétit, l’envie et le désir.

Dans une interview, il y a quelques années, Denis, vous disiez : “Si l’œuvre de ma mère existe encore, cela tient du miracle.” Est-ce que cela vous surprend toujours ?
D.W. 
Ça me surprend moins. À l’époque, j’étais dans une période où je récupérais les droits d’auteur et où son œuvre était un peu passée de mode. J’ai fini d’éponger ses dettes il y a quatre ans, ces droits d’auteur me reviennent aujourd’hui directement. Je n’étais pas certain que les choses allaient aussi bien se passer, je ne pensais pas qu’elle serait un écrivain aussi renommé et j’en suis vraiment heureux parce que j’admire son œuvre, ses idées. Je trouve ça formidable qu’elle plaise encore. Elle a une sorte d’intemporalité. C’est ce qui fait qu’elle reste célèbre et moderne. Les thèmes qu’elle traite sont éternels.

Votre livre est empreint de légèreté, comme pour mieux effacer la part sombre de Françoise Sagan, tant représentée ?
D.W. Oui ! Ce livre se situe entre le récit et le document. J’ai voulu prendre l’aspect difficile des choses. Parler d’une femme à travers ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a ressenti, traversé, les choses qui l’attiraient, celles qu’elle aimait. Se limiter à quelques-unes de ses habitudes les plus faciles comme l’alcool et le jeu, je ne trouve pas ça intéressant.

A.B. Il se lit comme un roman. C’est un livre très ouvert, pour ceux qui veulent la découvrir, notamment les jeunes générations qui ne la connaissent pas, mais aussi pour ceux qui pensent déjà tout savoir d’elle. Je connais très bien sa vie et pourtant j’ai appris beaucoup de choses. Tout le chapitre sur ce qui lui est arrivé au Festival de Cannes… Je ne l’avais jamais lu avec autant de détails, c’est passionnant !

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"Je me suis efforcé de préserver ce qui me paraissait très grave"

Vous avez tous les deux écrit sur elle, Denis, avec “Les années Sagan”, et Anne, avec “Sagan 1954”. Comment parvenir à un équilibre entre les révélations sur sa vie privée et la protection de son intimité ?
A.B. Lorsque Denis m’a demandé d’écrire ce livre, c’était très précis. Il s’agissait de s’intéresser à l’année 1954. Donc, c’est la naissance de l’écrivaine. Paradoxalement, ce récit est dans ma vie un déclic puisque je m’autorise pour la première fois à me raconter, moi, à être dans une forme d’impudeur. C’est grâce à elle, comme si elle m’avait donné l’autorisation de le faire.

D.W. Je me suis efforcé de préserver ce qui me paraissait très grave et ce qui me paraissait important, c’est-à-dire l’image de la femme que j’aime. La femme authentique, originale, la femme de talent, imaginative, intelligente. Celle qui se fout des qu’en-dira-t-on et des principes.

Françoise Sagan a lutté pour l’avortement en signant la pétition des 343. “L’avortement, disait-elle, c’est une question de classe.” Qu’est-ce qui vous frappe dans ses mots ?
D.W. Elle a toujours été un peu en avance sur son temps. Quand elle a écrit “Bonjour tristesse”, elle a éveillé la conscience de toute une génération de jeunes filles qui n’attendaient que d’avoir cette nouvelle fenêtre sur le monde.

A.B. Il ne faut pas oublier que “Bonjour tristesse” fait scandale parce qu’elle ose raconter l’histoire d’une mineure qui va aimer avoir des relations sexuelles sans être amoureuse de son petit ami, et ne va pas être punie pour ça, c’est-à-dire ne va pas tomber enceinte. C’est nouveau, et c’est une révolution. On comprend que son regard sur ce sujet-là fasse que, en avance, elle défende l’avortement.

Plus tard, on la voit engagée auprès de François ­Mitterrand sur des sujets sociétaux. Mais on la ­présente rarement sous cet angle…
A.B. C’est ça qui est très intéressant. Denis va à rebours de certaines images qu’on a de Françoise Sagan. On la voit effectivement très engagée politiquement dans l’affirmation de choix de son époque. Ça va à l’encontre de cette image de Mai 1968, où elle est dans sa Jaguar et répond aux étudiants par des traits d’esprit. C’est une goutte d’eau dans sa vie. On voit que, plus elle vieillit, plus elle s’engage politiquement dans son époque.

D.W. C’est important pour moi. Elle est peu connue comme femme engagée. Dès qu’elle est froissée ou décalée, dès que ses idées sont malmenées ou violées, elle réagit automatiquement.

Un film en préparation

Anne, dans la préface de “Derrière l’épaule”, vous faites un lien entre son écriture et celle de Virginia Woolf. Pourquoi ?
A.B. Sur le papier, ce sont deux femmes absolument opposées. Mais, lorsqu’on lit le “Journal” de Virginia Woolf, on s’aperçoit qu’elle aimait la vie immensément, qu’elle pouvait être très drôle, qu’elle appréciait aussi les choses inattendues. Et quand on lit “Derrière l’épaule” de Sagan, on se rend compte qu’elles ont le même goût du sérieux, que Sagan met dans la réflexion sur son écriture.

D.W. Je suis tout à fait d’accord avec ce que dit Anne, et il se trouve que Virginia Woolf est l’une de mes écrivaines favorites !

Vous évoquez, Denis, son attachement aux animaux et à la ­Normandie, son amour pour la nature… Pensez-vous que Françoise Sagan était une écolo avant l’heure ?
D.W. Oui, et je pense qu’elle a aussi précédé une génération avec un texte qui s’appelle “La nature” dans le recueil “Chroniques 1954-2003”. Elle y fait part de son inquiétude face aux effets de l’être humain sur la planète.

Un écrivain est-il au sommet de son écriture dès lors qu’il a touché la jeunesse ?
A.B.
J’écris pour la jeune génération, c’est à eux que je m’adresse.

D.W. On s’adresse toujours aux jeunes…

A.B. Pas forcément. Il y a des écrivains qui ne s’adressent même pas à un lecteur, ils écrivent parce qu’ils ont une nécessité qui jaillit. Donc chaque auteur a son horizon. Le mien est tourné vers la jeunesse. Il y a des gens qui écrivent pour la personne qu’ils aiment.

DW. Toi, tu ne le fais pas délibérément ?

A.B. Si. “La carte postale”, je l’ai écrite vraiment en me disant que je voulais que cela soit lu par des jeunes adultes ou de grands adolescents. C’était mon obsession.

Denis, que pouvez-vous nous dire du film “Bonjour tristesse”, avec Chloë Sevigny, qui sort en septembre ?
D.W. Il est resté très longtemps en gestation puisqu’il y a eu des discussions interminables sur la cession des droits – elles ont duré cinq ans. Le film vient d’être terminé, il est extrêmement moderne et n’a plus rien à voir avec la version d’Otto ­Preminger. La jeune actrice qui interprète Cécile est vraiment très surprenante et touchante.

S’il fallait ne retenir qu’un seul de ses 21 romans, lequel choisiriez-vous ?
D.W.
C’est difficile, je change souvent. J’aime beaucoup “La laisse”. Et “Un profil perdu”. Contrairement à elle ! [Il rit.]

A.B. J’ai une passion pour “La chamade”. Et aussi pour ses Mémoires, “Derrière l’épaule”. Ce livre est vraiment un exploit, que je conseille à tous ceux qui veulent écrire, qui se posent des questions sur ce que c’est qu’écrire, comment écrire. Elle donne beaucoup de réponses.

D.W. Oui, mais moi je ne le conseille pas à des gens qui ne connaissent pas son œuvre. Il faut l’avoir lue. C’est beaucoup plus drôle en tout cas…

« Les années Sagan », de Denis Westhoff, éd. Gourcuff Gradenigo, 224 pages, 39 euros.

« Les années Sagan », de Denis Westhoff, éd. Gourcuff Gradenigo, 224 pages, 39 euros. © DR

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