Le Michelin a dévoilé son édition 2018 ce lundi 5 février. Un classement sans vague ni drame. Comment expliquer une soudaine indulgence? Notre analyse.
Comme si Bibendum ne voulait surtout pas froisser le milieu... Comme si, échaudé par les critiques du milieu qui dénonce de plus en plus ouvertement sa pression, voire son diktat, il tentait la grande réconciliation. Une cérémonie en grandes pompes, du glamour, des paillettes, un hommage à Paul Bocuse et un palmarès qui marche sur des oeufs. Michelin multiplie décidément les signes d'apaisement.
À LIRE >> Guide Michelin 2018: Veyrat, Bacquié, Etchebest... les nouvelles étoiles dévoilées
En acceptant de retirer au chef Sébastien Bras à Laguiole ses trois étoiles, comme l'intéressé le réclamait au nom de sa "liberté", le guide prend pour la première en compte le souhait d'un chef. Autre temps, autres moeurs: quand, en 2005, Alain Senderens entendait rendre ses trois étoiles, le Michelin avait rappelé qu'il était seul à décider de l'attribution des macarons et avait accordé au chef du Lucas Carton, lors du palmarès 2006, deux étoiles. Une décision interprétée comme un camouflet adressé à une toque jugée trop "grande gueule".
En rendant à Bruno Cirino, l'une des lames les plus affûtées de la Côte d'Azur, la 2e étoile qui lui avait été confisquée en 2014 pour des raisons injustes et obscures, le Michelin fait clairement amende honorable.
Inaki Aizpitarte étoilé, dix ans après la bataille
En accordant l'étoile au Chateaubriand, Michelin espère faire plaisir à ses nouveaux amis du Fooding. Drôle de manoeuvre! Rappel des faits: il y a 10 ans, Bibendum marquait la plus grande indifférence à l'égard du mouvement bistronomique en général, et du talent irradiant d'Inaki Aizpitarte. Jean-François Mesplède, le patron du Michelin de l'époque, répétait à qui voulait l'entendre qu'il n'avait jamais réussi à trouver le moindre potentiel d'étoile au 129, avenue Parmentier. Aujourd'hui, qu'est-il écrit sur les rapports des inspecteurs? "Inaki en net progrès"? "Après des années de labeur, Inaki enfin au niveau de l'étoile"? Heureusement que le ridicule ne tue pas... Il aurait encore mieux valu que le Michelin assume, sur ce coup-là, sa position de guide autiste et réac plutôt que de tenter, une décennie après la bataille, de racoler le foodie à coups de clins d'oeil déplacés. Les ficelles sont un peu trop grosses.

Look cool, cuisine décoiffante et cote médiatique au summum, Inaki Aizpitarte a fait de son Chateaubriand (Paris XIe) l'étape incontournable de la nouvelle gastronomie française.
Audouin Desforges/L'Express Styles
Le Michelin a changé, promis. Moderne, branché et surtout, viscéralement gentil. La preuve, aucun déclassement frappant cette année. C'est une première! Comme si le nouvelle règle imposée par Bidendum était: "le macaron, tu peux le gagner mais tu ne peux plus le perdre". Comment expliquer une soudaine indulgence? Le guide rouge pourra invoquer la situation économique difficile de ces dernières années (attentats, crise économique...) qui l'a poussé à ne pas aggraver la situation de certains établissements.
Des 3-étoiles consensuels
La réalité, c'est que le Michelin semble vouloir désormais faire parler de lui par le beau geste plutôt que par l'excès d'autorité. Question d'image. Et Michael Ellis, le patron texan du Guide rouge, n'avait visiblement pas l'intention de gâcher une si belle (et si chère) cérémonie à La Seine Musicale, qu'il avait lui-même comparée aux Oscars de la gastronomie.
À LIRE >> Michael Ellis: "Non, on ne peut pas acheter son étoile dans le guide Michelin"
La choix des trois étoiles: équilibré et consensuel. Pas de prise de risque démesurée, mais des décisions mûrement réfléchies, destinées à plaire. On récompense la Province plutôt que Paris, on salue l'expérience tout en faisant des clins d'oeil à la jeunesse. Et surtout on porte au pinacle des toques très "Michelino-compatibles".
Marc Veyrat a bien joué les rebelles en lançant, il y a quelques jours: "Si je n'ai pas 3 étoiles, je rends les deux autres!" Il fallait plutôt voir dans cette saillie médiatique un appel à l'aide adressé à Bibendum, sans qui la survie économique de son ambitieuse Maison des Bois à Manigod paraissait compromise. Ce Graal est une sacrée bouffée d'oxygène dans l'écosystème que le chef savoyard âgé de 67 ans a perché à 1.800 mètres d'altitude, sur la route du col de la Croix-Fry. Mais après tout, le guide Michelin ne fait que rendre à l'homme au chapeau noir ce qui lui a appartenu. En 1995, il obtint 3 étoiles aux fourneaux de l'Auberge de l'Eridan à Veyrier-du-Lac et en 2001, il doubla la mise avec la Ferme de mon père à Megève, devenant l'un des rares détenteurs de deux fois 3-étoiles.
Marc Veyrat devra partager un peu de lumière avec un nom peu connu du grand public, même si, depuis quelques années, il figurait en bonne place dans la short list des prétendants à la récompense suprême: Christophe Bacquié, chef de l'hôtel du Castellet dans le Var. Ce dernier coche toutes les cases du 3-étoiles idéal: l'âge parfait entre jeunesse et maturité (45 ans); un parcours modèle qui l'a mené de L'Oasis à Mandelieu-la-Napoule à La Villa à Calvi, en Corse, où il décrocha 2 étoiles; une réputation de chef technique validée par son titre de Meilleur Ouvrier de France en 2004; un établissement de haut standing et des produits luxueux, à l'image du Saint-Pierre/tourteau/caviar, l'un de ses plats-signature. Enfin, un discours de bon élève, très respectueux du Michelin. Et un soutien des autres chefs étoilés, qui l'ont acclamé sur la scène ce lundi.
Les surprises sont parmi les primo-étoilés
Paradoxalement, c'est au chapitre des primo-étoilés que les surprises sont légion. Le guide Michelin, soucieux de son image et des critiques qui lui sont adressées, prend un malin plaisir de récompenser aussi bien l'académisme que l'anticonformisme.
Bien joué, l'étoile à Table (Paris XIIe) de l'iconoclaste Bruno Verjus, qui n'attendait pas cette récompense pour faire le plein. Bien senties et particulièrement réactives, les étoiles pour IMA (Rennes) et Comice (Paris XVIe), deux nouvelles tables 2017, parmi nos plus belles sensations. Elles sont d'ailleurs ex-aequo dans notre palmarès des 10 meilleures tables de 2017 de L'Express.
Courageuse et justifiée, l'étoile à L'Arcane (Paris XVIIIe), petite table de Montmartre aux ambitions gastronomiques affichées. Logiques l'étoile pour Quinsou (Paris VIe), tenu par Antonin bonnet, un moine amoureux du produit qui fut déjà étoilé au Sergent Recruteur (Paris IVe) et pour Garopapilles à Bordeaux, bistrot gastronomique parmi nos grands coups de coeur de 2016.
Les toques étrangères récompensées
Le Guide Michelin a le bon goût de ne surtout pas oublier pas les toques étrangères, et notamment nipponnes, qui participent activement à l'effort gastronomique national : Au 14 février (Saint-Amour-Bellevue), Takao Takano à Lyon, Étude (Paris XVIe), Ken Kawasaki (Paris XVIIIe), Pertinence (Paris VIIe).
Également, une première étoile remarquée est attribuée au Libanais Alan Geaam qui ne cesse, dans son restaurant de la rue Lauriston (Paris XVIe) de clamer son amour de la cuisine française et qui sait l'orientaliser en douceur...
À LIRE >> Alan Geaam: "Cela prouve qu'un chef autodidacte peut être étoilé"
Read AgainLe Michelin a dévoilé son édition 2018 ce lundi 5 février. Un classement sans vague ni drame. Comment expliquer une soudaine indulgence? Notre analyse.
Comme si Bibendum ne voulait surtout pas froisser le milieu... Comme si, échaudé par les critiques du milieu qui dénonce de plus en plus ouvertement sa pression, voire son diktat, il tentait la grande réconciliation. Une cérémonie en grandes pompes, du glamour, des paillettes, un hommage à Paul Bocuse et un palmarès qui marche sur des oeufs. Michelin multiplie décidément les signes d'apaisement.
À LIRE >> Guide Michelin 2018: Veyrat, Bacquié, Etchebest... les nouvelles étoiles dévoilées
En acceptant de retirer au chef Sébastien Bras à Laguiole ses trois étoiles, comme l'intéressé le réclamait au nom de sa "liberté", le guide prend pour la première en compte le souhait d'un chef. Autre temps, autres moeurs: quand, en 2005, Alain Senderens entendait rendre ses trois étoiles, le Michelin avait rappelé qu'il était seul à décider de l'attribution des macarons et avait accordé au chef du Lucas Carton, lors du palmarès 2006, deux étoiles. Une décision interprétée comme un camouflet adressé à une toque jugée trop "grande gueule".
En rendant à Bruno Cirino, l'une des lames les plus affûtées de la Côte d'Azur, la 2e étoile qui lui avait été confisquée en 2014 pour des raisons injustes et obscures, le Michelin fait clairement amende honorable.
Inaki Aizpitarte étoilé, dix ans après la bataille
En accordant l'étoile au Chateaubriand, Michelin espère faire plaisir à ses nouveaux amis du Fooding. Drôle de manoeuvre! Rappel des faits: il y a 10 ans, Bibendum marquait la plus grande indifférence à l'égard du mouvement bistronomique en général, et du talent irradiant d'Inaki Aizpitarte. Jean-François Mesplède, le patron du Michelin de l'époque, répétait à qui voulait l'entendre qu'il n'avait jamais réussi à trouver le moindre potentiel d'étoile au 129, avenue Parmentier. Aujourd'hui, qu'est-il écrit sur les rapports des inspecteurs? "Inaki en net progrès"? "Après des années de labeur, Inaki enfin au niveau de l'étoile"? Heureusement que le ridicule ne tue pas... Il aurait encore mieux valu que le Michelin assume, sur ce coup-là, sa position de guide autiste et réac plutôt que de tenter, une décennie après la bataille, de racoler le foodie à coups de clins d'oeil déplacés. Les ficelles sont un peu trop grosses.

Look cool, cuisine décoiffante et cote médiatique au summum, Inaki Aizpitarte a fait de son Chateaubriand (Paris XIe) l'étape incontournable de la nouvelle gastronomie française.
Audouin Desforges/L'Express Styles
Le Michelin a changé, promis. Moderne, branché et surtout, viscéralement gentil. La preuve, aucun déclassement frappant cette année. C'est une première! Comme si le nouvelle règle imposée par Bidendum était: "le macaron, tu peux le gagner mais tu ne peux plus le perdre". Comment expliquer une soudaine indulgence? Le guide rouge pourra invoquer la situation économique difficile de ces dernières années (attentats, crise économique...) qui l'a poussé à ne pas aggraver la situation de certains établissements.
Des 3-étoiles consensuels
La réalité, c'est que le Michelin semble vouloir désormais faire parler de lui par le beau geste plutôt que par l'excès d'autorité. Question d'image. Et Michael Ellis, le patron texan du Guide rouge, n'avait visiblement pas l'intention de gâcher une si belle (et si chère) cérémonie à La Seine Musicale, qu'il avait lui-même comparée aux Oscars de la gastronomie.
À LIRE >> Michael Ellis: "Non, on ne peut pas acheter son étoile dans le guide Michelin"
La choix des trois étoiles: équilibré et consensuel. Pas de prise de risque démesurée, mais des décisions mûrement réfléchies, destinées à plaire. On récompense la Province plutôt que Paris, on salue l'expérience tout en faisant des clins d'oeil à la jeunesse. Et surtout on porte au pinacle des toques très "Michelino-compatibles".
Marc Veyrat a bien joué les rebelles en lançant, il y a quelques jours: "Si je n'ai pas 3 étoiles, je rends les deux autres!" Il fallait plutôt voir dans cette saillie médiatique un appel à l'aide adressé à Bibendum, sans qui la survie économique de son ambitieuse Maison des Bois à Manigod paraissait compromise. Ce Graal est une sacrée bouffée d'oxygène dans l'écosystème que le chef savoyard âgé de 67 ans a perché à 1.800 mètres d'altitude, sur la route du col de la Croix-Fry. Mais après tout, le guide Michelin ne fait que rendre à l'homme au chapeau noir ce qui lui a appartenu. En 1995, il obtint 3 étoiles aux fourneaux de l'Auberge de l'Eridan à Veyrier-du-Lac et en 2001, il doubla la mise avec la Ferme de mon père à Megève, devenant l'un des rares détenteurs de deux fois 3-étoiles.
Marc Veyrat devra partager un peu de lumière avec un nom peu connu du grand public, même si, depuis quelques années, il figurait en bonne place dans la short list des prétendants à la récompense suprême: Christophe Bacquié, chef de l'hôtel du Castellet dans le Var. Ce dernier coche toutes les cases du 3-étoiles idéal: l'âge parfait entre jeunesse et maturité (45 ans); un parcours modèle qui l'a mené de L'Oasis à Mandelieu-la-Napoule à La Villa à Calvi, en Corse, où il décrocha 2 étoiles; une réputation de chef technique validée par son titre de Meilleur Ouvrier de France en 2004; un établissement de haut standing et des produits luxueux, à l'image du Saint-Pierre/tourteau/caviar, l'un de ses plats-signature. Enfin, un discours de bon élève, très respectueux du Michelin. Et un soutien des autres chefs étoilés, qui l'ont acclamé sur la scène ce lundi.
Les surprises sont parmi les primo-étoilés
Paradoxalement, c'est au chapitre des primo-étoilés que les surprises sont légion. Le guide Michelin, soucieux de son image et des critiques qui lui sont adressées, prend un malin plaisir de récompenser aussi bien l'académisme que l'anticonformisme.
Bien joué, l'étoile à Table (Paris XIIe) de l'iconoclaste Bruno Verjus, qui n'attendait pas cette récompense pour faire le plein. Bien senties et particulièrement réactives, les étoiles pour IMA (Rennes) et Comice (Paris XVIe), deux nouvelles tables 2017, parmi nos plus belles sensations. Elles sont d'ailleurs ex-aequo dans notre palmarès des 10 meilleures tables de 2017 de L'Express.
Courageuse et justifiée, l'étoile à L'Arcane (Paris XVIIIe), petite table de Montmartre aux ambitions gastronomiques affichées. Logiques l'étoile pour Quinsou (Paris VIe), tenu par Antonin bonnet, un moine amoureux du produit qui fut déjà étoilé au Sergent Recruteur (Paris IVe) et pour Garopapilles à Bordeaux, bistrot gastronomique parmi nos grands coups de coeur de 2016.
Les toques étrangères récompensées
Le Guide Michelin a le bon goût de ne surtout pas oublier pas les toques étrangères, et notamment nipponnes, qui participent activement à l'effort gastronomique national : Au 14 février (Saint-Amour-Bellevue), Takao Takano à Lyon, Étude (Paris XVIe), Ken Kawasaki (Paris XVIIIe), Pertinence (Paris VIIe).
Également, une première étoile remarquée est attribuée au Libanais Alan Geaam qui ne cesse, dans son restaurant de la rue Lauriston (Paris XVIe) de clamer son amour de la cuisine française et qui sait l'orientaliser en douceur...
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