L'annonce de leur séparation a mis un coup au moral général, mais pas d'inquiétude: les deux musiciens ont toujours su se réinventer loin de leur duo d'origine.
Depuis 1993, année où ils mettent un terme à leur précédente formation (Darlin') pour donner naissance à Daft Punk, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont toujours tout fait ensemble: ils ont permis à la French Touch de briller à l'international, mis le pied dans le cinéma d'auteur (Electroma), composé une BO pour un blockbuster (Tron), collaboré avec les plus grands (Giorgio Moroder, Pharrell, Nile Rodgers, etc.) et, surtout, composé un sacré paquet de tubes.
À eux seuls, ils pourraient prouver que la folie, définitivement, se vit mieux à deux. Pourtant, à y regarder de plus près, les deux Français n'ont jamais hésité ces trois dernières décennies à se faire des infidélités, à s'éloigner l'un de l'autre pour tenter de se réinventer ailleurs.
Naïvement, on pourrait dire qu'il a bien fallu s'occuper, que les projets estampillés Daft Punk sortaient de manière trop espacée pour canaliser complètement la soif créative des deux compères –après tout, quatre albums studio en vingt-huit ans de carrière, c'est peu. On pourrait aussi, et ce serait sans doute plus juste, affirmer que Thomas Bangalter et Guy-Man ont toujours eu trop d'idées, trop d'envies, trop de toupet pour se contenter de leur formation principale.
Roule avec Thomas Bangalter
En 1995, déjà, Thomas Bangalter profite de ses relations (avec Gildas Loaec, futur patron de Kitsuné, notamment) pour monter Roulé, un label entièrement dédié à la house et à la techno, sur lequel il publie une série de singles devenus mythiques: «Together» de Together, «Rock Shock» de Roy Davis Jr., «Hello My Name Is DJ Falcon» de DJ Falcon ou encore «Music Sounds Better With You» de Stardust, cet hymne house qui deviendra l'un des morceaux les plus vendus de l'histoire des musiques électroniques. En 2001, le magazine NME synthétise l'enthousiasme général par une formule lapidaire, allant jusqu'à considérer «Music Sounds Better With You» comme «l'une des plus grands pop-songs jamais écrites». Vrai.
Un an plus tard, c'est dans un autre registre que s'illustre Thomas Bangalter. D'un côté, il s'éclate dans le rap aux côtés de 113 et de leur producteur maison, DJ Mehdi, avec qui il a tissé des liens depuis quelque temps: «Ça s'est fait très naturellement: Mehdi venait de faire sa connaissance, Thomas appréciait le taf de Mehdi et kiffait Les Princes de la ville, racontait alors Rim'K, l'un des trois rappeurs du groupe de Vitry dans une interview à Vice. Il est passé au studio à l'improviste au moment de “113 fout la merde” et il est reparti chercher son vocoder. Ce n'était vraiment pas calculé. Cette spontanéité, c'est d'ailleurs ce qui a permis à ce titre d'être un gros coup: il y a tellement d'autorisations à avoir pour pouvoir figurer aux côtés de Daft Punk que si on avait voulu le faire de prime abord, ça aurait fini par capoter. En revanche, là, c'est un vrai partage musical et un vrai moment de studio.»
Sur un autre versant, Thomas Bangalter s'essaye au long-format avec la BO d'Irréversible, le film choc de Gaspard Noé –un réalisateur avec qui il collabore de nouveau en 2009 sur Enter the Void. À chaque fois, ces petites escapades sont effectuées en toute discrétion, en dehors de toute considération. Thomas Bangalter a beau être membre d'un des duos les plus influents sur la scène internationale, le mec préfère rester en retrait, comme s'il s'agissait à chaque fois de remettre la musique au premier plan, de la laisser parler d'elle-même. Au-delà des tubes, peu savent donc que le Français a également composé une chanson réutilisée malhonnêtement par Bob Sinclar en 1998 («Gym Tonic»), qu'il a refusé de réaliser un remix pour David Bowie ou qu'il a coproduit un morceau pour Matthieu Chedid en 2018 («Superchérie»).
Guy-Man, le touche-à-tout
Cet art de la mise en retrait, cette façon de vouloir rester en permanence indépendant dans le geste créatif, Guy-Manuel de Homem-Christo le cultive aussi. On est alors en 1997, son compère a fondé son label depuis déjà deux ans, et ce dernier se sent prêt à sauter le pas avec Crydamoure. Il voit cette structure comme un prolongement à l'esthétique façonnée au sein de Daft Punk: «Thomas et moi avons les mêmes goûts en matière de musique, détaillait-il dans un entretien à RemixMag. Quand je fais des disques pour Crydamoure, c'est un style différent de ce qui pourrait devenir de la musique Daft Punk. Je sais ce que Thomas aime, et il sait ce que j'aime. Crydamoure n'est pas si orienté vers la production, même s'il n'est pas trop éloigné des Daft Punk. Le matériel de notre duo est plus orchestré et légèrement différent.»
L'aventure durera sept ans, et même si elle ne peut s'appuyer sur un succès aussi populaire que «Music Sounds Better With You», elle rappelle l'éclectisme musical prôné par Guy-Man (The Eternals, DJ Sneak, Play Paul: tous sont signés sur Crydamoure), ainsi que la volonté des deux amis d'évoluer sans cesse à l'abri des projecteurs. Aux côtés d'Éric Chédeville, Guy-Man forme ainsi Le Knight Club et se lance dans la production de remixes chouchoutés par les DJ au début des années 2000: «Too Young» de Phoenix, «Taken It All» de Zoot Woman et même «Technologic» des Daft.
Toutefois, c'est bien lorsqu'il offre ses services aux autres que Guy-Man séduit le plus. Impossible, en effet, de penser que «See Me Now» de Cassius, l'album Sexuality de Sébastien Tellier ou l'immense «Nightcall» de Kavinsky auraient eu le même son, la même résonance, la même profondeur sans le savoir-faire mélodique du Français. Même si ce dernier, dans une interview à Snatch, préfère tout ramener à une simple histoire humaine: «En fin de compte, bosser sur “Nightcall”, c'était une manière de sceller mon amitié avec lui [Kavinsky, ndlr], mais aussi avec SebastiAn et Sébastien Tellier qui ont participé au projet.»
Guy-Man a beau minimiser son impact, force est de constater que chacune de ses sorties discographiques suscite l'excitation générale. C'était le cas en 2017, quand Charlotte Gainsbourg annonçait son album avec «Rest», une ritournelle synthétique, intime et mélancolique, orchestrée par ses soins. Ça l'était de nouveau en 2018 aux côtés de The Weeknd et Gesaffelstein, le temps d'un «Hurt You» au succès plus modeste que «Starboy» ou «I Feel It Coming» (deux morceaux produits par Daft Punk), mais tout aussi symbolique.
Symbolique d'une certaine approche de la musique, de l'aura du duo versaillais dans le monde et du trait d'union qu'ont toujours permis Thomas Bangalter et Guy-Man entre l'underground techno et la pop music, entre les mélodies d'orfèvres et les singles conçus pour conquérir les foules.
L'annonce de leur séparation a mis un coup au moral général, mais pas d'inquiétude: les deux musiciens ont toujours su se réinventer loin de leur duo d'origine.
Depuis 1993, année où ils mettent un terme à leur précédente formation (Darlin') pour donner naissance à Daft Punk, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont toujours tout fait ensemble: ils ont permis à la French Touch de briller à l'international, mis le pied dans le cinéma d'auteur (Electroma), composé une BO pour un blockbuster (Tron), collaboré avec les plus grands (Giorgio Moroder, Pharrell, Nile Rodgers, etc.) et, surtout, composé un sacré paquet de tubes.
À eux seuls, ils pourraient prouver que la folie, définitivement, se vit mieux à deux. Pourtant, à y regarder de plus près, les deux Français n'ont jamais hésité ces trois dernières décennies à se faire des infidélités, à s'éloigner l'un de l'autre pour tenter de se réinventer ailleurs.
Naïvement, on pourrait dire qu'il a bien fallu s'occuper, que les projets estampillés Daft Punk sortaient de manière trop espacée pour canaliser complètement la soif créative des deux compères –après tout, quatre albums studio en vingt-huit ans de carrière, c'est peu. On pourrait aussi, et ce serait sans doute plus juste, affirmer que Thomas Bangalter et Guy-Man ont toujours eu trop d'idées, trop d'envies, trop de toupet pour se contenter de leur formation principale.
Roule avec Thomas Bangalter
En 1995, déjà, Thomas Bangalter profite de ses relations (avec Gildas Loaec, futur patron de Kitsuné, notamment) pour monter Roulé, un label entièrement dédié à la house et à la techno, sur lequel il publie une série de singles devenus mythiques: «Together» de Together, «Rock Shock» de Roy Davis Jr., «Hello My Name Is DJ Falcon» de DJ Falcon ou encore «Music Sounds Better With You» de Stardust, cet hymne house qui deviendra l'un des morceaux les plus vendus de l'histoire des musiques électroniques. En 2001, le magazine NME synthétise l'enthousiasme général par une formule lapidaire, allant jusqu'à considérer «Music Sounds Better With You» comme «l'une des plus grands pop-songs jamais écrites». Vrai.
Un an plus tard, c'est dans un autre registre que s'illustre Thomas Bangalter. D'un côté, il s'éclate dans le rap aux côtés de 113 et de leur producteur maison, DJ Mehdi, avec qui il a tissé des liens depuis quelque temps: «Ça s'est fait très naturellement: Mehdi venait de faire sa connaissance, Thomas appréciait le taf de Mehdi et kiffait Les Princes de la ville, racontait alors Rim'K, l'un des trois rappeurs du groupe de Vitry dans une interview à Vice. Il est passé au studio à l'improviste au moment de “113 fout la merde” et il est reparti chercher son vocoder. Ce n'était vraiment pas calculé. Cette spontanéité, c'est d'ailleurs ce qui a permis à ce titre d'être un gros coup: il y a tellement d'autorisations à avoir pour pouvoir figurer aux côtés de Daft Punk que si on avait voulu le faire de prime abord, ça aurait fini par capoter. En revanche, là, c'est un vrai partage musical et un vrai moment de studio.»
Sur un autre versant, Thomas Bangalter s'essaye au long-format avec la BO d'Irréversible, le film choc de Gaspard Noé –un réalisateur avec qui il collabore de nouveau en 2009 sur Enter the Void. À chaque fois, ces petites escapades sont effectuées en toute discrétion, en dehors de toute considération. Thomas Bangalter a beau être membre d'un des duos les plus influents sur la scène internationale, le mec préfère rester en retrait, comme s'il s'agissait à chaque fois de remettre la musique au premier plan, de la laisser parler d'elle-même. Au-delà des tubes, peu savent donc que le Français a également composé une chanson réutilisée malhonnêtement par Bob Sinclar en 1998 («Gym Tonic»), qu'il a refusé de réaliser un remix pour David Bowie ou qu'il a coproduit un morceau pour Matthieu Chedid en 2018 («Superchérie»).
Guy-Man, le touche-à-tout
Cet art de la mise en retrait, cette façon de vouloir rester en permanence indépendant dans le geste créatif, Guy-Manuel de Homem-Christo le cultive aussi. On est alors en 1997, son compère a fondé son label depuis déjà deux ans, et ce dernier se sent prêt à sauter le pas avec Crydamoure. Il voit cette structure comme un prolongement à l'esthétique façonnée au sein de Daft Punk: «Thomas et moi avons les mêmes goûts en matière de musique, détaillait-il dans un entretien à RemixMag. Quand je fais des disques pour Crydamoure, c'est un style différent de ce qui pourrait devenir de la musique Daft Punk. Je sais ce que Thomas aime, et il sait ce que j'aime. Crydamoure n'est pas si orienté vers la production, même s'il n'est pas trop éloigné des Daft Punk. Le matériel de notre duo est plus orchestré et légèrement différent.»
L'aventure durera sept ans, et même si elle ne peut s'appuyer sur un succès aussi populaire que «Music Sounds Better With You», elle rappelle l'éclectisme musical prôné par Guy-Man (The Eternals, DJ Sneak, Play Paul: tous sont signés sur Crydamoure), ainsi que la volonté des deux amis d'évoluer sans cesse à l'abri des projecteurs. Aux côtés d'Éric Chédeville, Guy-Man forme ainsi Le Knight Club et se lance dans la production de remixes chouchoutés par les DJ au début des années 2000: «Too Young» de Phoenix, «Taken It All» de Zoot Woman et même «Technologic» des Daft.
Toutefois, c'est bien lorsqu'il offre ses services aux autres que Guy-Man séduit le plus. Impossible, en effet, de penser que «See Me Now» de Cassius, l'album Sexuality de Sébastien Tellier ou l'immense «Nightcall» de Kavinsky auraient eu le même son, la même résonance, la même profondeur sans le savoir-faire mélodique du Français. Même si ce dernier, dans une interview à Snatch, préfère tout ramener à une simple histoire humaine: «En fin de compte, bosser sur “Nightcall”, c'était une manière de sceller mon amitié avec lui [Kavinsky, ndlr], mais aussi avec SebastiAn et Sébastien Tellier qui ont participé au projet.»
Guy-Man a beau minimiser son impact, force est de constater que chacune de ses sorties discographiques suscite l'excitation générale. C'était le cas en 2017, quand Charlotte Gainsbourg annonçait son album avec «Rest», une ritournelle synthétique, intime et mélancolique, orchestrée par ses soins. Ça l'était de nouveau en 2018 aux côtés de The Weeknd et Gesaffelstein, le temps d'un «Hurt You» au succès plus modeste que «Starboy» ou «I Feel It Coming» (deux morceaux produits par Daft Punk), mais tout aussi symbolique.
Symbolique d'une certaine approche de la musique, de l'aura du duo versaillais dans le monde et du trait d'union qu'ont toujours permis Thomas Bangalter et Guy-Man entre l'underground techno et la pop music, entre les mélodies d'orfèvres et les singles conçus pour conquérir les foules.
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