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Violences sexistes et sexuelles : dans le milieu "gangréné" de la BD, "la parole se libère au compte-gouttes" - franceinfo

Alors que s'ouvre le Festival d'Angoulême, l'affaire Bastien Vivès a contribué à faire émerger des voix qui dénoncent les comportements problématiques au sein d'un univers majoritairement masculin.

"Il y a quelques années, j'étais en train de dédicacer lorsqu'un auteur de bandes dessinées s'est approché de moi. Il m'a léché la joue, comme ça, sans prévenir. J'étais sidérée." Quand on l'interroge sur le harcèlement, les violences sexuelles et sexistes dans le monde de la BD, c'est le premier exemple qui vient à l'esprit d'Emilie Plateau. L'agression est d'autant plus marquante qu'elle s'est déroulée au début de sa carrière. "J'étais très introvertie à l'époque", précise l'autrice, qui a publié son premier album à 28 ans.

Aujourd'hui, elle a dix ans de plus, s'est installée à Bruxelles et veut "faire bouger les choses". Ces scènes de sexisme, voire d'agressions sexuelles, Emilie Plateau les a intégrées dans L'Epopée infernale, le livre dont vous êtes l'héroïne. Son récit, qui retrace avec humour ses mésaventures d'autrice en reprenant les codes des romans d'heroic fantasy, résonne avec l'actualité. Le 19 décembre, en soutien au collectif MeTooBD, Emilie Plateau a partagé sur Twitter un dessin de son livre.

Ce collectif a vu le jour mi-décembre, après la polémique autour d'une exposition au Festival de la BD d'Angoulême de Bastien Vivès, accusé par le collectif d'être "un auteur dont l'œuvre promeut une vision misogyne des corps féminins, hypersexualisés, stéréotypés" et qui "produit des images pédopornographiques". Depuis, l'exposition a été annulée et une enquête judiciaire vise le dessinateur. Alors que le Festival d'Angoulême ouvre ses portes, jeudi 26 janvier, le monde de la BD est toujours en ébullition sur ces questions.

"L'affaire Bastien Vivès a contribué à faire déborder le vase qui était plus que plein", explique le collectif MeTooBD. Géré par "une poignée de personnes", il en revendique plus de 200 derrière l'initiative, dont des "étudiant.es, auteur.ices, éditeur.ices, militant.es". En dévoilant les violences sexuelles et sexistes subies dans le milieu de la BD, ce collectif espère "mettre [les agresseurs] face à la réalité et à la gravité de leurs actes" afin de les "dissuader de continuer à nuire" mais aussi et surtout de "montrer aux victimes que ce qu'elles subissent n'est pas normal et qu'elles ne sont pas seules". Six témoignages anonymes ont été publiés en un mois et demi.

"Il est encore trop tôt pour parler de la fin d'un tabou."

Le collectif MeTooBD

à franceinfo

"La parole se libère, mais au compte-gouttes", constatent les membres du collectif, qui soulignent que "le problème est ancien".

De fait, dès les années 1970 et 1980, des autrices féministes ont tenté de faire bouger les lignes. Le 28 janvier 1985, Chantal Montellier, Nicole Claveloux, Florence Cestac et Jeanne Puchol publiaient dans Le Monde un manifeste contre le sexisme et la violence dans les bandes dessinées. Elles y épinglaient une "nouvelle presse" gangrénée par les "crasseux fantasmes machos" et jugeaient "navrant de voir la plupart des journaux de bandes dessinées prendre le chemin réducteur de l'accroche-cul".

A l'époque, Jeanne Puchol commençait sa carrière. L'autrice, aujourd'hui âgée de 65 ans, se souvient de "conversations de vestiaire" au restaurant, quand les auteurs "oubliaient" qu'elle était "la seule femme autour de la table". Le sexisme passait aussi par des remarques sur "ce que doit être le 'bon dessin'" qui "charrie son lot de mépris et de points de vue masculins" :

"Le dessin de fille était forcément un dessin de petite fille. Il m'a fallu plus de dix ans pour créer un personnage féminin."

Jeanne Puchol, autrice

à franceinfo

Aux côtés d'autres pionnières, Jeanne Puchol a tout fait pour mettre en avant la production des femmes. En 2007, avec Chantal Montellier, elle cofonde le prix Artémisia, qui récompense chaque année une BD réalisée par une ou plusieurs femmes. Mais l'initiative ne suffit pas à éradiquer le sexisme. Huit ans plus tard, Jeanne Puchol et d'autres autrices sont approchées par le Centre belge de la bande dessinée pour participer à une exposition intitulée "La BD des filles". Toutes dénoncent "un projet accablant et misogyne" et refusent d'être cantonnées à une case "girly". Elles constituent le Collectif des créatrices de BD contre le sexisme, avec une charte et le site BDegalite.org. Un mouvement qui prend de l'ampleur début 2016, quand elles se mobilisent contre la liste exclusivement masculine de 30 auteurs en lice pour le Grand prix du Festival d'Angoulême.

Aujourd'hui, ce collectif est encore actif et regroupe plus de 250 autrices. C'est grâce à lui que 70 témoignages sur "le sexisme ordinaire, les violences et le harcèlement" ont émergé sur internet. "Un dessinateur s'avance vers moi pour me dire bonjour. Je lui tends la main. Et lui dis que maintenant, je préfère serrer la main de mes collègues plutôt que de leur faire la bise. Furieux, il m'assène deux grands coups sur le haut de la tête", écrit par exemple Catherine Beaunez. L'autrice, spécialisée dans le dessin de presse, précise que plus tard, dans la soirée, ce même auteur lui a mis "la main aux fesses" en se moquant d'elle. "Nous sommes en 2010. Je suis abasourdie."

Treize ans plus tard, la dessinatrice de 69 ans est atterrée de toujours subir de telles remarques. "Beaunez, il lui en faut, elle en veut  !" entend-elle encore, il y a deux mois, lors d'un festival. Elle participe aux réunions du Collectif des créatrices de BD contre le sexisme. A Paris, en décembre, des jeunes femmes y ont révélé des agressions. "J'étais sous le choc : ça n'en finit pas", soupire-t-elle.

"J'ai connu la BD masculine. Puis je l'ai vue être investie petit à petit par des autrices , observe pour sa part David Chauvel, auteur, éditeur et scénariste. Cela a bouleversé la donne, mais certaines personnes refusent le changement."

"Dessiner des filles à poil constitue le fonds de commerce de beaucoup d'auteurs et ça pèse sur la BD."

David Chauvel, éditeur, scénariste et auteur

à franceinfo

L'éditeur, qui travaille pour les éditions Delcourt, y voit aussi "un conflit de générations". "C'est parce que le sexisme est ordinaire que beaucoup d'hommes sont incapables de l'entendre. Pour eux, essayer de séduire une jeune autrice, une assistante ou une bénévole de festival n'est pas un problème", déplore-t-il.

Car depuis des années, les festivals cristallisent de nombreux comportements problématiques. Beaucoup d'autrices, comme Elvire De Cock, en témoignent auprès de franceinfo. C'est en festival que cette dessinatrice et coloriste, dont le premier album date de 2006, s'est retrouvée "à rire à des blagues atroces et à de l'humour déplacé". "A mes débuts, lors d'un repas en festival, un auteur, vieux, m'a pris la main et l'a massée. Il ne voulait plus la lâcher", témoigne-t-elle. Ainsi, Elvire De Cock se souvient ne pas avoir pu repousser un organisateur de festival qui s'était "entiché" d'elle, avec un comportement qui s'apparentait à du harcèlement, de peur "d'avoir mauvaise réputation" par la suite. "C'était une année difficile, je cherchais du travail."

Car la plupart des autrices sont soumises à de fortes contraintes économiques. "Si les auteurs vivent très mal, les autrices encore plus", souligne Maëlys Tirehote Corbin, doctorante à l'université de Lausanne, qui prépare une thèse sur les évolutions de carrière dans la BD selon le genre. En 2014, les revenus moyens des autrices étaient inférieurs de 43% à ceux de leurs homologues masculins et elles étaient 67% à vivre sous le smic annuel brut, d'après l'enquête des états généraux de la BD en 2016.

Or, dénoncer un auteur peut coûter cher. "Des femmes ont vu des portes se fermer parce qu'elles se sont exprimées" sur ce qu'elles avaient subi de la part de confrères, assure Christelle Pécout, dessinatrice et vice-présidente du groupement BD du Syndicat national des auteurs et compositeurs.

"C'est un métier très solitaire et très précaire. Les festivals sont les seuls moments où on se voit de manière très collective. Mais quand on y va seule, on est plus vulnérable."

Christelle Pécout, dessinatrice

à franceinfo

Pour autant, travailler en équipe ne préserve pas toujours des comportements sexistes. Au sein d'un atelier parisien fondé dans les années 2000, plusieurs témoignages recueillis par franceinfo décrivent une "ambiance potache". Sophie*, qui y a travaillé, parle de "blagues grasses" lancées à voix haute par deux ou trois auteurs. "C'était une façon de s'ancrer dans un groupe, de dire 'on est cool'." Et d'instaurer une "cohésion masculine" au cœur d'un atelier où les femmes étaient peu nombreuses. "J'ai réalisé ce que j'ai vécu quand j'ai lu la définition du 'harcèlement d'ambiance' [une notion définie par le Défenseur des droits en 2017]. Ce n'est qu'un exemple de l'ambiance dans le monde de la BD", estime-t-elle.

Zoé*, une autrice qui fréquente cet atelier depuis plus de 10 ans, a tenu à réagir : "Ce n'est pas ce que je vis ou ce que j'ai vécu." Mais elle reconnaît qu'il y a pu avoir, au sein de l'équipe, "des fortes têtes qui parlaient beaucoup". "Mais c'était avant. Certains reconnaissent aujourd'hui qu'ils ont pu blesser", précise-t-elle. L'autrice souligne qu'elle a fait "des rencontres désagréables" mais "avec des auteurs qui travaillent dans d'autres ateliers, où des choses bien plus graves se sont déroulées". Elle évoque un univers de la BD "gangréné".

Dans une tribune publiée le 17 décembre 2022 sur Mediapart, plus de 500 signataires décrivent un monde "imprégné" de la "culture du viol", dont "la carte blanche" à Bastien Vivès prévue au Festival d'Angoulême "est symptomatique d'un contexte global où les luttes contre le sexisme et les violences sexuelles peinent toujours à être entendues et reconnues". Les auteurs réclament des "moyens concrets", dont "une charte d'engagement", "pour enfin faire du Festival d'Angoulême un lieu qui ne saurait tolérer les violences et les discriminations".

"On aimerait que ça aille plus vite. Mais libérer la parole dans le milieu de la BD demande du courage et de la force : les témoignages des femmes qui parlent sont souvent remis en cause", reconnaît Emilie Plateau. Qui voit tout de même une évolution notable ces dernières années : "Entre nous, on en parle, on se dit : 'Fais attention à cette personne', 'Ne travaille pas avec untel'." Une "solidarité féminine et féministe" qui réjouit tout autant sa consœur Elvire De Cock : "Savoir qu'on n'est plus toutes seules, c'est énorme."

* Les prénoms ont été changés.

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Alors que s'ouvre le Festival d'Angoulême, l'affaire Bastien Vivès a contribué à faire émerger des voix qui dénoncent les comportements problématiques au sein d'un univers majoritairement masculin.

"Il y a quelques années, j'étais en train de dédicacer lorsqu'un auteur de bandes dessinées s'est approché de moi. Il m'a léché la joue, comme ça, sans prévenir. J'étais sidérée." Quand on l'interroge sur le harcèlement, les violences sexuelles et sexistes dans le monde de la BD, c'est le premier exemple qui vient à l'esprit d'Emilie Plateau. L'agression est d'autant plus marquante qu'elle s'est déroulée au début de sa carrière. "J'étais très introvertie à l'époque", précise l'autrice, qui a publié son premier album à 28 ans.

Aujourd'hui, elle a dix ans de plus, s'est installée à Bruxelles et veut "faire bouger les choses". Ces scènes de sexisme, voire d'agressions sexuelles, Emilie Plateau les a intégrées dans L'Epopée infernale, le livre dont vous êtes l'héroïne. Son récit, qui retrace avec humour ses mésaventures d'autrice en reprenant les codes des romans d'heroic fantasy, résonne avec l'actualité. Le 19 décembre, en soutien au collectif MeTooBD, Emilie Plateau a partagé sur Twitter un dessin de son livre.

Ce collectif a vu le jour mi-décembre, après la polémique autour d'une exposition au Festival de la BD d'Angoulême de Bastien Vivès, accusé par le collectif d'être "un auteur dont l'œuvre promeut une vision misogyne des corps féminins, hypersexualisés, stéréotypés" et qui "produit des images pédopornographiques". Depuis, l'exposition a été annulée et une enquête judiciaire vise le dessinateur. Alors que le Festival d'Angoulême ouvre ses portes, jeudi 26 janvier, le monde de la BD est toujours en ébullition sur ces questions.

"L'affaire Bastien Vivès a contribué à faire déborder le vase qui était plus que plein", explique le collectif MeTooBD. Géré par "une poignée de personnes", il en revendique plus de 200 derrière l'initiative, dont des "étudiant.es, auteur.ices, éditeur.ices, militant.es". En dévoilant les violences sexuelles et sexistes subies dans le milieu de la BD, ce collectif espère "mettre [les agresseurs] face à la réalité et à la gravité de leurs actes" afin de les "dissuader de continuer à nuire" mais aussi et surtout de "montrer aux victimes que ce qu'elles subissent n'est pas normal et qu'elles ne sont pas seules". Six témoignages anonymes ont été publiés en un mois et demi.

"Il est encore trop tôt pour parler de la fin d'un tabou."

Le collectif MeTooBD

à franceinfo

"La parole se libère, mais au compte-gouttes", constatent les membres du collectif, qui soulignent que "le problème est ancien".

De fait, dès les années 1970 et 1980, des autrices féministes ont tenté de faire bouger les lignes. Le 28 janvier 1985, Chantal Montellier, Nicole Claveloux, Florence Cestac et Jeanne Puchol publiaient dans Le Monde un manifeste contre le sexisme et la violence dans les bandes dessinées. Elles y épinglaient une "nouvelle presse" gangrénée par les "crasseux fantasmes machos" et jugeaient "navrant de voir la plupart des journaux de bandes dessinées prendre le chemin réducteur de l'accroche-cul".

A l'époque, Jeanne Puchol commençait sa carrière. L'autrice, aujourd'hui âgée de 65 ans, se souvient de "conversations de vestiaire" au restaurant, quand les auteurs "oubliaient" qu'elle était "la seule femme autour de la table". Le sexisme passait aussi par des remarques sur "ce que doit être le 'bon dessin'" qui "charrie son lot de mépris et de points de vue masculins" :

"Le dessin de fille était forcément un dessin de petite fille. Il m'a fallu plus de dix ans pour créer un personnage féminin."

Jeanne Puchol, autrice

à franceinfo

Aux côtés d'autres pionnières, Jeanne Puchol a tout fait pour mettre en avant la production des femmes. En 2007, avec Chantal Montellier, elle cofonde le prix Artémisia, qui récompense chaque année une BD réalisée par une ou plusieurs femmes. Mais l'initiative ne suffit pas à éradiquer le sexisme. Huit ans plus tard, Jeanne Puchol et d'autres autrices sont approchées par le Centre belge de la bande dessinée pour participer à une exposition intitulée "La BD des filles". Toutes dénoncent "un projet accablant et misogyne" et refusent d'être cantonnées à une case "girly". Elles constituent le Collectif des créatrices de BD contre le sexisme, avec une charte et le site BDegalite.org. Un mouvement qui prend de l'ampleur début 2016, quand elles se mobilisent contre la liste exclusivement masculine de 30 auteurs en lice pour le Grand prix du Festival d'Angoulême.

Aujourd'hui, ce collectif est encore actif et regroupe plus de 250 autrices. C'est grâce à lui que 70 témoignages sur "le sexisme ordinaire, les violences et le harcèlement" ont émergé sur internet. "Un dessinateur s'avance vers moi pour me dire bonjour. Je lui tends la main. Et lui dis que maintenant, je préfère serrer la main de mes collègues plutôt que de leur faire la bise. Furieux, il m'assène deux grands coups sur le haut de la tête", écrit par exemple Catherine Beaunez. L'autrice, spécialisée dans le dessin de presse, précise que plus tard, dans la soirée, ce même auteur lui a mis "la main aux fesses" en se moquant d'elle. "Nous sommes en 2010. Je suis abasourdie."

Treize ans plus tard, la dessinatrice de 69 ans est atterrée de toujours subir de telles remarques. "Beaunez, il lui en faut, elle en veut  !" entend-elle encore, il y a deux mois, lors d'un festival. Elle participe aux réunions du Collectif des créatrices de BD contre le sexisme. A Paris, en décembre, des jeunes femmes y ont révélé des agressions. "J'étais sous le choc : ça n'en finit pas", soupire-t-elle.

"J'ai connu la BD masculine. Puis je l'ai vue être investie petit à petit par des autrices , observe pour sa part David Chauvel, auteur, éditeur et scénariste. Cela a bouleversé la donne, mais certaines personnes refusent le changement."

"Dessiner des filles à poil constitue le fonds de commerce de beaucoup d'auteurs et ça pèse sur la BD."

David Chauvel, éditeur, scénariste et auteur

à franceinfo

L'éditeur, qui travaille pour les éditions Delcourt, y voit aussi "un conflit de générations". "C'est parce que le sexisme est ordinaire que beaucoup d'hommes sont incapables de l'entendre. Pour eux, essayer de séduire une jeune autrice, une assistante ou une bénévole de festival n'est pas un problème", déplore-t-il.

Car depuis des années, les festivals cristallisent de nombreux comportements problématiques. Beaucoup d'autrices, comme Elvire De Cock, en témoignent auprès de franceinfo. C'est en festival que cette dessinatrice et coloriste, dont le premier album date de 2006, s'est retrouvée "à rire à des blagues atroces et à de l'humour déplacé". "A mes débuts, lors d'un repas en festival, un auteur, vieux, m'a pris la main et l'a massée. Il ne voulait plus la lâcher", témoigne-t-elle. Ainsi, Elvire De Cock se souvient ne pas avoir pu repousser un organisateur de festival qui s'était "entiché" d'elle, avec un comportement qui s'apparentait à du harcèlement, de peur "d'avoir mauvaise réputation" par la suite. "C'était une année difficile, je cherchais du travail."

Car la plupart des autrices sont soumises à de fortes contraintes économiques. "Si les auteurs vivent très mal, les autrices encore plus", souligne Maëlys Tirehote Corbin, doctorante à l'université de Lausanne, qui prépare une thèse sur les évolutions de carrière dans la BD selon le genre. En 2014, les revenus moyens des autrices étaient inférieurs de 43% à ceux de leurs homologues masculins et elles étaient 67% à vivre sous le smic annuel brut, d'après l'enquête des états généraux de la BD en 2016.

Or, dénoncer un auteur peut coûter cher. "Des femmes ont vu des portes se fermer parce qu'elles se sont exprimées" sur ce qu'elles avaient subi de la part de confrères, assure Christelle Pécout, dessinatrice et vice-présidente du groupement BD du Syndicat national des auteurs et compositeurs.

"C'est un métier très solitaire et très précaire. Les festivals sont les seuls moments où on se voit de manière très collective. Mais quand on y va seule, on est plus vulnérable."

Christelle Pécout, dessinatrice

à franceinfo

Pour autant, travailler en équipe ne préserve pas toujours des comportements sexistes. Au sein d'un atelier parisien fondé dans les années 2000, plusieurs témoignages recueillis par franceinfo décrivent une "ambiance potache". Sophie*, qui y a travaillé, parle de "blagues grasses" lancées à voix haute par deux ou trois auteurs. "C'était une façon de s'ancrer dans un groupe, de dire 'on est cool'." Et d'instaurer une "cohésion masculine" au cœur d'un atelier où les femmes étaient peu nombreuses. "J'ai réalisé ce que j'ai vécu quand j'ai lu la définition du 'harcèlement d'ambiance' [une notion définie par le Défenseur des droits en 2017]. Ce n'est qu'un exemple de l'ambiance dans le monde de la BD", estime-t-elle.

Zoé*, une autrice qui fréquente cet atelier depuis plus de 10 ans, a tenu à réagir : "Ce n'est pas ce que je vis ou ce que j'ai vécu." Mais elle reconnaît qu'il y a pu avoir, au sein de l'équipe, "des fortes têtes qui parlaient beaucoup". "Mais c'était avant. Certains reconnaissent aujourd'hui qu'ils ont pu blesser", précise-t-elle. L'autrice souligne qu'elle a fait "des rencontres désagréables" mais "avec des auteurs qui travaillent dans d'autres ateliers, où des choses bien plus graves se sont déroulées". Elle évoque un univers de la BD "gangréné".

Dans une tribune publiée le 17 décembre 2022 sur Mediapart, plus de 500 signataires décrivent un monde "imprégné" de la "culture du viol", dont "la carte blanche" à Bastien Vivès prévue au Festival d'Angoulême "est symptomatique d'un contexte global où les luttes contre le sexisme et les violences sexuelles peinent toujours à être entendues et reconnues". Les auteurs réclament des "moyens concrets", dont "une charte d'engagement", "pour enfin faire du Festival d'Angoulême un lieu qui ne saurait tolérer les violences et les discriminations".

"On aimerait que ça aille plus vite. Mais libérer la parole dans le milieu de la BD demande du courage et de la force : les témoignages des femmes qui parlent sont souvent remis en cause", reconnaît Emilie Plateau. Qui voit tout de même une évolution notable ces dernières années : "Entre nous, on en parle, on se dit : 'Fais attention à cette personne', 'Ne travaille pas avec untel'." Une "solidarité féminine et féministe" qui réjouit tout autant sa consœur Elvire De Cock : "Savoir qu'on n'est plus toutes seules, c'est énorme."

* Les prénoms ont été changés.

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